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Il a mis entre sa pensée et ses actes cet harmonieux accord qui est le but de l’auteur de la Comédie infernale. Le poème en sonnets dans lequel Kollar poursuit la Slavie, l’idéal, le type divin de la nationalité slave, porte à chaque page l’empreinte de cet amour de la justice, de ce dévouement absolu à l’intérêt national et social. « Je jeûne, dit Kollar, et je verse des larmes pendant les jours néfastes de l’histoire slave ; je m’enferme et je fais abstinence le jour de la bataille de Kossovo, de cette bataille qui détruisit l’indépendance des Serbes, le jour de la bataille de Weissemberg où fut tuée la vieille Bohême, le jour où Kosciuszko tomba sur le champ de Macieiowice. »

Ce n’est pas avec moins de patriotisme que les poètes serbes chantent la gloire et les malheurs de leurs aïeux, cette terrible journée de Kossovo où ils durent reconnaître la supériorité des Turcs, et dont le souvenir, si lointain soit-il, est encore présent à toutes les mémoires dans les Balkans. C’est l’unique sujet de la littérature serbe, c’est l’éternel regret éveillant d’éternelles plaintes et animant d’une mélancolique douleur l’épopée, le drame ou la chanson. Un auteur moderne, Milutinowicz, l’a traité sous la forme du drame et avec un accent de patriotisme qui ne résonne pas moins éloquemment que la voix émue de Kollar. Si l’on examine les œuvres de pure érudition, l’ethnographie et les antiquités slaves de Schafarick, les écrits historiques de Palacki sur la Bohème, ceux du docteur Gaj sur la race illyrienne, on est frappé de ce même sentiment national, de ce même besoin d’action qui conduit les érudits comme les poètes, et les réunit dans un dévouement commun à la tâche politique du pays. La littérature chez les Slaves n’est point, on le voit, isolée du mouvement religieux et national. Pendant qu’en Europe tout se divise et se morcèle en mille spécialités, chez les peuples slaves, au contraire, tout se résume et tout tend à se concentrer. En pays slave chaque ouvrage littéraire remarquable est en même temps une œuvre politique. Il y a telle production slave que l’on pourrait appeler indifféremment un poème ou un pamphlet, une prédication ou un journal. M. Mickiewicz a remarqué à ce propos, non sans raison, que toutes les grandes productions de l’esprit humain portaient précisément le même caractère multiple et indéfinissable, réunissant en elle, comme Homère, les Niebelungen, le Koran, les versets de l’Évangile, la puissance de convaincre et celle de conduire, l’idée religieuse et l’idée politique, la force et l’action.

Il est donc vrai de dire que, dans leur philosophie comme dans leur littérature, les Slaves dérivent de la grande école religieuse qui commence avec l’humanité, et dont le christianisme a élevé si haut la puissance. Le scepticisme du XVIIIe siècle a porté de redoutables atteintes à la religion, et, ce qui est pis, au sentiment religieux : il a failli dessécher