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MOEURS


DEMOCRATIQUES ET SOCIALES


JOURNAL D'UN TOURISTE ANGLAIS A PARIS.




Au dernier siècle, Sterne visita la France, et il nous a laissé dans son Voyage sentimental le résumé de ses observations. C’est une image fidèle de ce que devait être la France d’alors, nation tranquille encore, société assoupie et tombée dans les puérilités aimables et les corruptions enfantines, jasant des libertés futures en même temps que des danseuses de l’Opéra, n’ayant plus qu’un sentiment incertain de ses traditions et parlant des progrès de la raison sur le ton de la folie. Le pauvre petit sansonnet qui crie liberté ! liberté ! de manière à déchirer l’ame du sentimental Sterne, la marchande de gants du Pont-Neuf, l’excentrique galant qui salue à Calais toutes les femmes qu’il rencontre, les abbés blottis au fond des loges de l’Opéra, qui ne les préservent pas suffisamment contre les curieux du parterre, un âne mort, une pauvre folle, tels sont les incidens, les personnages qui remplissent ces récits. Aujourd’hui tout cela s’est évanoui. Le compatriote de Sterne qui voyage en France y trouve de tout autres tableaux, des tableaux qui demanderaient un Swift et non plus l’auteur de Tristram Shandy. Il y a des fous et des folles, non plus par amour, mais par politique ; il n’y a plus de sansonnet gracieux criant liberté ! mais de sauvages éperviers criant vengeance et carnage ! Ces mœurs, naguère charmantes, ont des côtés sombres, et le Swift n’est pas encore venu, l’impitoyable railleur qui serait