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ou s’enrichissent ; leurs fortunes croulent ou s’élèvent, montagnes de sable qui s’affaissent et se reconstruisent sous le vent du désert : le fond des choses ne change pas. Toujours le même réseau d’abeilles qui couvre le territoire et continue son travail ; toujours même ressort intérieur d’énergie morale et physique qui se prête et qui s’emprunte avec une égale facilité, même activité de secours mutuels, même esprit chrétien de lutte contre le mal, de fraternité dans la lutte, d’égalité dans les devoirs et les charges, de libre puissance dans l’expansion. On n’attend rien de l’état ; qu’est-ce que l’état ? On ne rêve point d’utopies ; à quoi bon ? Nul ne maudit un passé qui renfermait tous les germes de l’autonomie américaine, c’est-à-dire la grandeur des États-Unis ; c’est un véritable Anglais que l’Américain constructeur de vaisseaux, qui s’entend avec le propriétaire de chemins de fer, avec l’ingénieur, avec l’ouvrier, avec le colon, qui n’imagine pas avoir besoin d’un gouvernement pour le protéger, et dans l’esprit duquel cette croyance est enracinée, que la meilleure société est celle où tout le monde s’entend pour ne commander à personne.

Enlevez à l’Amérique son esprit de christianisme fraternel, de teutonisme antique et d’entreprise hardie ; supprimez un seul de ces élémens, sa prospérité disparaît. La preuve en est facile. De grands pays voisins et fertiles, les uns républicains, en apparence du moins, les autres soumis à une métropole lointaine, le Mexique et le Canada, l’un avec des institutions calquées sur celles des États-Unis, l’autre avec ses souvenirs français et sous la domination anglaise, ne peuvent arriver à rien. On sait dans quelle torpeur convulsive végètent les républiques espagnoles. Le fermier gallo-canadien, plein de cœur, de bravoure et souvent d’esprit, sociable, charitable, ingénieux, n’a pas su créer une société et la soutenir par lui-même. « Rien n’est plus frappant, dit lord Durham, que la différence de situation, de culture et de richesse entre les deux fractions d’un même pays, habitées et cultivées par deux races diverses. Le territoire canadien du côté des grands lacs est peut-être le meilleur de toute l’Amérique ; cependant il donne peu de produits. La grande péninsule située dans le Haut-Canada, entre le lac Huron et le lac Érié, comprenant les terrains les plus fertiles en grains de tout le continent, est laissée aujourd’hui presque en friche. Entre Amherstburgh et la mer, la valeur vénale du sol est beaucoup plus grande du côté des États-Unis anglais que de celui du vieux Canada français. Cette différence dans quelques localités est comme mille est à cent. L’acre, vendue un dollar dans le Canada français, en vaut cinq à deux pas de là, aux États-Unis. En face de la vieille ville française de Montréal, où tout est repos et silence, vous voyez s’élever et grandir la jeune cité anglo-américaine de Buffalo, où tout est activité, industrie et prospérité. Buffalo est d’hier, Montréal date du