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brûlantes, l’agitation a cessé dans les provinces, et, quelle que soit la violence avec laquelle le sang bouillonne au cœur de l’état, ses pulsations, qui se ralentissent en atteignant les extrémités, n’ont plus la force d’en troubler la vie normale et régulière.

Telle est l’harmonie fédérative de ce grand ensemble, que l’on essaierait en vain de ramener à l’unité impériale ou monarchique. N’ayant pour élémens politiques que des groupes de familles éparses sur un immense continent, les Américains ont procédé par la concentration puissante de chaque groupe sur lui-même, système que l’Union substitue avec tant de raison à la centralisation qui la tuerait. Imaginez un mouvement purement central dans une société composée de tant de millions d’ames toutes également habituées à la variété de l’action, au jeu libre et personnel de leur volonté : ce serait un gouffre où tout irait s’engloutir pour s’y perdre. La vie sociale, monarchique ou républicaine est une harmonie variée qui concentre sur un certain nombre de points les forces normales et régulières et les balance l’une par l’autre.

La dispersion excessive des forces ou leur excessive concentration peut tuer le corps social. Parmi les Américains, certains esprits sont émus du premier danger, certains autres du second. De là leur grande subdivision fondamentale en démocrates et en whigs. Les démocrates (il ne faut pas prendre ce mot dans le sens que nous acceptons en Europe) s’opposent avec violence à toute centralisation, poussent à la dispersion des forces, réclament l’annexion de beaucoup d’états, veulent le Canada, demandent Mexico, et ne seront satisfaits crue lorsque le continent américain tout entier ou plutôt les deux zones séparées par l’isthme de Panama formeront une double ruche couverte d’alvéoles séparées. « Au lieu de les nommer démocrates, dit M. Channing, mot qui n’a pas de sens chez les peuples modernes, on ferait peut-être mieux de les nommer les disséminateurs. » Ils prêchent la division de l’Union par petits groupes, par sphères concentriques, absorbant avec efficacité pour les faire rayonner avec énergie toutes les forces environnantes. Ils représentent la mobilité, l’activité et le changement ; ils prennent parti volontiers contre le capital et ses détenteurs, surtout contre le capital manufacturier. Hommes du mouvement, ils poussent à la guerre et ne font pas grand cas de l’équité idéale et théorique. Une certaine dose d’injustice ne les arrête guère, pourvu qu’ils marchent. Ce sont eux qui montrent en général le moins de courtoisie envers les nations étrangères, « et je crois, dit M. Mackay, qu’ils ne reculeraient pas devant des atteintes violentes ou cachées à la constitution qu’ils prétendent adorer. » Ce parti est le symbole extrême de la spontanéité, de la volonté, de la vie ardente. L’invasion du Texas et celle de Mexico, crimes politiques qui auraient pu exposer l’administration à une accusation fondée, ont été ardemment soutenues par l’unanimité du parti démocratique.