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capital bostonien. En employant sa force et son adresse, le manufacturier la moralise et l’enrichit, et c’est là le grand phénomène à étudier.

Le premier fait curieux qui se présente est celui d’une population de plus de trente mille ames remplaçant aujourd’hui les deux cents ames, seule population que Lowell comptât en 1820. Cette création d’hier, Lowell, village obscur il y a trente ans, situé, comme on sait, au point de jonction du Merrimack et de la Concorde, est aujourd’hui la seconde ville du Massachusetts et la douzième ou à peu près de toute l’Union. Il n’y avait en 1816 dans cette localité que deux ou trois cabanes de planteurs, formées comme à l’ordinaire par l’abeille traditionnelle. Une cabane faite de bûches dans les bois, un autre édifice revêtu de plâtre dominant le cours du Merrimack, une taverne couverte d’ardoises au service des voyageurs qui visitaient les cascades pittoresques de Pawtucket, voilà tout. Aujourd’hui les filatures de Lowell mettent en mouvement deux cent mille fuseaux ; presque tous les moulins de quelque importance appartiennent à diverses corporations, qui étaient, il y a peu d’années, au nombre de onze, et dont la principale, connue sous le nom de compagnie Merrimack, est propriétaire du grand canal qui va prendre au niveau supérieur de la chute l’eau qui met en mouvement les machines. Non-seulement le canal est à elle et par conséquent elle dispose de la force motrice, mais elle a eu soin d’acheter à bas prix tous les terrains situés au-dessous des chutes. Reine de l’industrie du pays, si quelque compagnie d’ordre inférieur, possédant des usines ou des manufactures, subsiste à côté d’elle, c’est uniquement sous son bon plaisir. En 1844, ces diverses compagnies avaient fabriqué soixante millions de mètres de cotonnade imprimée, teint quinze millions de mètres de la même étoffe, et absorbé pour le transformer ainsi la huitième partie de tout le coton produit par l’Amérique.

Vous approchez de Lowell ; point de fumée, de miasmes infects, d’exhalaisons putrides et de rues tortueuses ; rien d’insalubre ; la nature vierge fournit une atmosphère vive et saine, un volume d’eau considérable, et l’anthracite que l’on brûle au lieu de houille ne vomit pas ces colonnes de vapeurs noires qui pèsent sur Manchester et Sheffield. Tout est tranquille, ou plutôt tout est gai. La fraîcheur des visages, le sourire des femmes, l’animation réglée de la ville, l’extrême propreté des rues, vous séduisent. Si vous visitez l’intérieur des établissemens, vous y trouverez la même satisfaction écrite sur tous les traits, le même contentement grave qui respire partout. Les écoles sont nombreuses ; les plus pauvres envoient leurs enfans dans les écoles primaires dont on ne compte pas moins de trente. Huit écoles supérieures donnent aux plus aisés une éducation complète. Les ouvriers, qui estiment la science, ont fondé de leurs deniers, sous le nom de salle des