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permettent le libre développement de sa force américaine, il est heureux ; il sent qu’il fait partie d’un grand corps organique et harmonique. Lois, sol, terrain, mœurs, souvenirs, désirs, institutions, orgueil, passions, qualités, tout est d’accord. Les démocraties partielles dont se compose l’Union sont aussi solides et aussi stables que les états les mieux organisés ; elles ont leurs racines dans les ames et leur sève dans les habitudes. Obscure hier, marchant d’un pas hardi dans l’inconnu, l’Amérique soigne peu le présent ; l’avenir est à elle. Un fait domine toute sa vie, c’est l’expansion, l’activité, l’énergie, la tendance à la variété, le go-a-headism. Sa vigueur morale, identique dans ses causes et dans son essence à la force intime de Rome sous les Scipions, de la France sous Louis XIV, de l’Espagne sous Isabelle, de l’Angleterre depuis les George, se meut dans un espace bien autrement vaste. L’ame américaine, profondément identifiée aux institutions de la patrie, ne désire que ce qui peut et doit résulter de ces institutions mêmes et des mœurs nationales. Partout on travaille ; on vit à l’hôtel ; on se marie jeune ; on aime les aventures ; on ne craint guère la banqueroute, ni le danger, ni même la mort, et l’on sait que la terre ne manquera jamais à un Américain courageux.

À cette vaste expérience sociale dont les États-Unis sont l’atelier, il faut ajouter l’expérience physique que la nature ne cesse d’y opérer. Les fleuves changent de lit, le Niagara recule. les forêts tombent, les prairies brûlent, la température devient par degrés plus douce et plus tempérée, les miasmes qui s’exhalaient d’une terre nouvellement remuée perdent leur force morbifique, les moyens de subsistance s’accroissent, la population double tous les vingt ans, et ce n’est encore qu’une œuvre préparatoire. L’âge héroïque, l’époque de la guerre s’annonce ; cette forte race, qui en absorbe plusieurs autres, est loin, bien loin d’avoir rempli ses cadres, depuis l’Amérique russe et les Samoyèdes jusqu’à l’isthme de Panama.

Les tendances de l’Amérique septentrionale sont donc à la conquête d’une part, d’une autre à l’expansion des groupes fédératifs, et nullement, comme ont paru le croire quelques voyageurs anglais, à la transformation des républiques en monarchies. Le brisement des états fédérés en deux ou trois groupes est probable, lorsque l’ensemble se composera de fractions trop nombreuses et trop puissantes pour le cadre destiné à les embrasser. Déjà les habitans de la vallée du Mississipi, ont quelque penchant à se détacher des états qui forment la lisière de l’Atlantique ; le Texas, la Californie et l’Orégon, aujourd’hui trop peu civilisés et trop peu peuplés pour entrer en ligne de compte, formeront une autre sphère qui prendra place dans l’Union. Il est possible que Cuba, la Floride, la Nouvelle-Orléans, la Caroline et toute la vallée du Mississipi se relient ensemble, que les vieux états du nord sans