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elle était appelée à introduire la France dans l’ère à laquelle l’avaient préparée son histoire et son génie ; elle exerçait visiblement sur sa patrie et sur l’Europe une œuvre d’initiation. Aux classifications immuables de la naissance, elle allait substituer une hiérarchie mobile et personnelle ; en proclamant le principe de la souveraineté nationale, elle rectifiait les idées altérées, depuis le XVIe siècle, par le génie de la réforme et par celui des cours : elle débutait enfin dans son œuvre en proclamant le principe éminemment chrétien du respect de la conscience et de la liberté individuelle dans tous les faits de l’ordre civil et politique. Telle fut la portion la mieux inspirée de sa tâche, celle qui découla, comme une émanation féconde, de cette vivifiante inspiration chrétienne si souvent réfléchie dans les travaux de l’assemblée, lors même qu’elle en méconnaissait le plus obstinément la source c’est par là que la législation de 91 prolonge jusqu’à nous son influence et son action ; c’est pour cela que les principes de liberté publique et privée écrits dans sa déclaration des droits sont devenus les armes avec lesquelles nous combattons aujourd’hui un sauvage panthéisme social. Les doctrines qui menacent en ce moment le monde moral d’une subversion totale ne se produisaient pas alors avec le dogmatique enchaînement qui en fait aujourd’hui le péril ; mais, sans avoir encore pleine conscience des théories que des sophistes inventeraient bientôt pour justifier tant d’attentats, le parti du despotisme et de la destruction existait déjà comme de notre temps, et ce fut sous ses coups que succomba l’édifice que la constituante avait proclamé plus indestructible que l’airain.

Cette assemblée s’était efforcée de concentrer le pouvoir politique aux mains des classes que l’éducation avait préparées à l’exercer. Le mécanisme de toutes les lois électorales votées par la constituante constate que telle fut toujours sa pensée et l’objet de ses plus constantes préoccupations. En établissant l’élection indirecte et à plusieurs degrés, elle dispensait les droits électoraux dans la proportion de l’aptitude présumée des citoyens. En subordonnant l’éligibilité au paiement d’une contribution égale à la valeur d’un marc d’argent, et le droit électoral à l’acquit de la taxe représentée par trois journées de travail, l’assemblée protestait contre la théorie du suffrage universel et direct, que Robespierre osait seul proposer et défendre alors au nom du droit absolu appartenant à tous les êtres humains. D’après la doctrine de celui-ci, les hommes naissent avec le droit de voter comme avec celui de vivre et l’exercent au même titre ; il n’est pas licite à la société de restreindre par des conditions et d’entraver dans leur exercice l’une ou l’autre de ces facultés, et les droits politiques sont aussi imprescriptibles que les droits naturels, avec lesquels ils se confondent. L’identité de ces deux sortes de droits, — l’égalité absolue des êtres les plus inégalement doués par la nature ou par la fortune, la nécessité de chercher désormais dans