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les résistances qui ouvrirent si promptement la porte à l’anarchie, et quelles fautes arrachèrent des mains de la bourgeoisie une victoire à peine disputée jusqu’alors ? Nous essaierons de le faire comprendre.


II

La nécessité de couvrir le déficit et de donner un gage au papier-monnaie, dont la création fut arrêtée dès les premiers mois des travaux de l’assemblée, fut, personne ne l’ignore, le motif assigné pour porter la main sur les propriétés ecclésiastiques. Au lendemain du jour où, par une déclaration solennelle, on venait de consacrer l’inviolabilité des propriétés, il était difficile de confesser de prime abord la doctrine de confiscation qui, dans cette affaire, était tout le fond de la pensée du grand nombre. Aussi procéda-t-on par degrés et par une suite d’allégations mensongères. Ce fut d’abord une somme de 400 millions, indispensable, disait-on, pour assurer le service de la caisse d’escompte, qui provoqua un premier décret d’aliénation pour une quotité de biens ecclésiastiques correspondante. Cette mesure était des plus graves sans doute, puisqu’elle engageait un principe sacré jusqu’alors ; mais on prit soin d’en atténuer la portée, en déclarant que ces 400 millions seraient obtenus par la seule suppression des bénéfices non exercés et par celle des maisons conventuelles dont les membres croiraient devoir se retirer, conformément à la faculté que la loi venait de leur reconnaître. Cependant les antipathies philosophiques, soufflées par les cupidités financières, ne s’arrêtèrent pas en si beau chemin : un évêque qui, de notoriété publique, passait alors sa vie dans les tripots, commença une carrière demeurée, pendant un demi-siècle, le type de tous les genres de corruption, en proposant de mettre les biens ecclésiastiques à la disposition de la nation, sous la réserve que celle-ci n’en userait que dans la stricte mesure de ses besoins et sous la condition d’une préalable indemnité. Peu de mois après, ces propriétés étaient déclarées purement et simplement nationales moyennant l’inscription d’une rente annuelle d’environ 80 millions de francs attribuée aux anciens propriétaires. Cette dette fut déclarée aussi inviolable et aussi sacro-sainte que la constitution elle-même ; moins de deux ans après, la révolution avait déchiré l’une et cessé de payer l’autre. Ainsi l’état, insouciant des conséquences du fait qu’il allait consacrer, confisqua, au milieu des rires et des insultes qui accueillirent les protestations des membres d’une minorité conspuée à la fois par ses collègues et par les tribunes, une valeur territoriale que le rapporteur du comité ecclésiastique, M. Treilhard, faisait monter au capital de 4 milliards[1].

  1. Séance du 18 décembre 1789.