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Il n’est en France conservateur assez opiniâtre, du moins le croyons-nous, qui osât contester l’équité d’une telle réforme. Il ne s’en est pas rencontré non plus dans le parlement piémontais, où la loi Siccardi, acceptée de tous quant au fond, n’a été combattue qu’au point de vue de l’opportunité. En principe, il était difficile de nier que la loi, aux termes du statut, émanant du roi, qui la délègue à des juges nommés par lui et inamovibles, il ne peut y avoir dans l’état deux corps judiciaires, ni deux procédures. Chacun admettait bien que les formes arbitraires, les degrés de juridiction infinis, la confusion, les abus, le défaut de garantie que présentait le tribunal de l’évêque, l’impunité presque certaine qui couvrait le délinquant, toute cette organisation surannée devait faire place à une saine application du principe de l’égalité civile. Deux hommes considérables de la droite dans la chambre des députés, MM. Balbo et de Revel, se sont bornés seulement à discuter la question d’opportunité. Tout en reconnaissant que la loi était bonne en elle-même, ils ont demandé un délai pour mettre le gouvernement à même d’obtenir le consentement du saint-siège. L’état, de choses actuel étant fondé sur un concordat entre la cour de Rome et celle de Turin, on ne peut, disaient-ils, y rien modifier que de concert avec la cour de Rome. Cet argument, le seul qu’ait pu trouver et qu’a répété à satiété l’opposition, est en droit contestable. Le ministère a néanmoins répondu que des négociations avaient été entamées à ce sujet avec le pape, et cela dès le ministère du comte Avet, dont les opinions ne sont pas suspectes. Ces négociations, suivies par plusieurs cabinets successivement, avaient pour but de concilier les prétentions du clergé avec le droit nouveau inauguré par le statut ; elles n’ont eu aucun résultat : faudra-t-il attendre indéfiniment qu’il plaise à la cour de Rome de donner son agrément ? On sait très bien qu’en pareille matière Rome n’a jamais cédé que devant les faits accomplis, et que, si elle qualifie d’attentat contre l’église ce qui se passe aujourd’hui en Piémont, elle le tient pour régulier et consacré en France, en Autriche, en Belgique, en Toscane, à Naples, pays qui ne passent probablement pas pour hérétiques. Reprenant avec autorité et une grande logique des argumens qui ne pouvaient manquer de frapper les esprits exempts de préventions, le garde-des-sceaux a établi qu’en acceptant le statut, le roi et la nation avaient implicitement abrogé les lois antérieures qui y dérogeaient, et il a insisté sur la nécessité de mettre en ce point les institutions d’accord avec le statut. Il ne serait pas sans inconvénient en effet de prolonger outre mesure une situation transitoire de laquelle pourraient surgir, d’un moment à l’autre, des incidens et des conflits fâcheux. Pour ne citer qu’un exemple, si un évêque ou un ecclésiastique membre du sénat venait à être mis en jugement, serait-il déféré au foro ecclesiastico, ou traduit devant ses pairs, conformément au statut ?

Le ministère a été soutenu en cette occasion par la plus grande partie de la chambre. M. Camille de Cavour, dans un très remarquable discours, lui a apporté l’adhésion d’une grande partie de la droite ; aussi l’a-t-il emporté à une immense majorité, et, après trois jours de discussion, l’ensemble de la loi a été voté par 130 voix contre 26 seulement.

Ce n’était pas, du reste, au palais Carignan qu’on s’attendait à rencontrer une grande résistance ; l’opposition était surtout au dehors, dans le clergé protestant