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quelque temps, s’être concertés pour la mettre au service d’un plan de réaction organisé contre les institutions constitutionnelles. Leurs derniers mandemens de carême, fort mélangés de politique, contenaient des attaques plus ou moins directes contre le statut, si bien que, malgré sa répugnance à entamer de telles querelles, le ministère s’est vu contraint d’agir contre eux et de réprimer particulièrement les excentricités de l’évêque de Saluces, qui avait tonné en chaire avec plus de violence que les autres contre la liberté, contre la détestable invention de la presse et contre Guttemberg ! Nous n’assurerions pas que la présentation de la loi Siccardi n’ait point été une riposte à ces attaques absurdes. M. Siccardi, avocat distingué de la province de Turin avant de prendre les sceaux, est, comme la plupart de ses confrères, un de ces parlementaires de la vieille école qui ne voient pas de meilleur œil que d’Aguesseau le clergé s’immiscer par trop dans le domaine temporel. Ses dispositions sont partagées par le corps à peu près entier de la magistrature, qui se montrera très énergique et très décidée, si le clergé, comme il est à craindre, s’obstine dans sa malencontreuse campagne. Le voici, en effet, qui affecte de se donner un petit lustre de persécution. Le gouvernement a fait saisir une circulaire de monseigneur Franzoni, archevêque de Turin, sur la conduite que doit tenir le clergé du diocèse dans l’application de la loi Siccardi, et il a poursuivi devant les tribunaux un journal qui a reproduit cette pièce. Là-dessus, on crie à l’arbitraire et à la persécution. Or, la circulaire de l’archevêque de Turin n’est ni plus ni moins qu’un acte de révolte ouverte : elle prescrit aux ecclésiastiques qui seront cités, soit comme parties, soit comme témoins, devant un tribunal laïque, de s’adresser à l’autorité archiépiscopale pour obtenir l’autorisation voulue et les directions convenables. En présence de la juridiction laïque, ils devront arguer de l’incompétence du tribunal et protester qu’ils ne font que céder à la nécessité ; le curé ou le recteur d’une église devra opposer une semblable protestation toutes les fois qu’il sera commis quelque acte contraire à l’immunité locale, etc. Et les organes du parti de proclamer que l’archevêque n’a fait que remplir un devoir sacré, en s’élevant contre l’œuvre d’iniquité du ministère Azeglio-Siccardi !

Il était clair que monseigneur Franzoni voulait se faire appliquer le premier la nouvelle loi, et engager le combat de sa personne. Le gouvernement, de son côté, ne pouvait, sans créer un précédent fâcheux, céder devant cette petite émeute organisée dans les bureaux de l’Armonia, et il a dû se résoudre à poursuivre l’auteur de la circulaire incriminée. C’était là qu’on l’attendait. À une assignation de comparaître, monseigneur Franzoni répond en se retranchant derrière les statuts du concile de Trente, sess. 24, caput 5, de Re form. Le juge d’instruction insiste respectueusement, et, par une condescendance déjà extrême, il offre au prévenu de se transporter en son domicile pour y accomplir les prescriptions de la loi. Nouveau refus de l’archevêque. C’est alors que le tribunal s’est vu contraint de faire exécuter la loi. L’archevêque, appréhendé au corps avec tous les égards imaginables et les formes les plus délicates, a été conduit à la citadelle, où l’appartement du gouverneur lui sert de prison. Voilà le martyre consommé, le chevalier Salvi, juge instructeur du tribunal de Turin et ses confrères transformés en Colonna et Nogaret ; on chante dans les églises