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de la société au milieu de laquelle nous vivons. La sobriété de son style, si favorable au relief de la pensée, eût été dans la comédie d’un merveilleux effet. Il nous eût égayés à nos dépens. Si, au lieu de songer à nos plaisirs, nous songeons à la gloire du poète, la question change de face. Tout en reconnaissant que ses facultés l’appelaient à la comédie, nous sommes forcé d’avouer qu’il n’a pas agi à l’étourdie en y renonçant. Si la comédie, en effet, lui promettait des applaudissemens, elle ne pouvait lui promettre le premier rang. Quoi qu’il fît, quelque nouveauté, quelque hardiesse qu’il mît dans ses ouvrages, il ne pouvait guère espérer surpasser Molière. Dans l’intérêt de son nom, dans l’intérêt de sa gloire, il a donc pris un parti sage. Il voulait le premier rang, et la comédie lui refusait l’accomplissement de sa volonté. Il avait donc d’excellentes raisons pour se tourner d’un autre côté : il a choisi la chanson.

La chanson avant Béranger n’était pas considérée comme une œuvre littéraire. Personne ne songeait à juger la chanson d’après les lois de la poétique ; on aurait cru se rendre ridicule en lui demandant de la correction, de l’élégance, un choix d’images avoué par la raison. Pourvu que la chanson fût gaie, amusante, le public se déclarait satisfait. Depuis les refrains de la fronde jusqu’aux refrains de Panard et de Collé, on s’était toujours montré fort indulgent pour les rimes qui n’avaient pas la prétention d’être lues. Béranger eut le bonheur de comprendre que la chanson était encore parmi nous un genre incomplet, et qu’il y avait là une mine toute neuve à exploiter. La gaieté de Panard, les traits satiriques de Collé, si justement applaudis, n’avaient cependant pas de quoi décourager celui qui voudrait suivre leurs traces, ou plutôt il ne s’agissait pas de les suivre, mais bien d’ouvrir à la chanson une voie que ni Panard ni Collé n’avaient devinée. Sans renoncer à la gaieté, à la satire dont la chanson ne peut se passer, il fallait donner au couplet une forme plus précise, aux rimes plus d’exactitude et de richesse, aux images plus d’éclat et de variété. Enfin, il fallait trouver pour la chanson des sujets qu’elle n’eût pas encore abordés. La chanson ainsi agrandie, ainsi renouvelée, devenait un genre vraiment littéraire ; elle prenait droit de bourgeoisie parmi les pauvres poétiques. En ajoutant l’élégance à la gaieté, la concision du style aux traits satiriques, elle ne compromettait pas sa popularité, elle la doublait en élargissant le cercle de son auditoire. Jusqu’à Panard, jusqu’à Collé, elle avait égayé la guinguette et parfois les petites maisons. Or, entre la guinguette et les petites maisons, il y a toute une société sérieuse, vouée aux travaux de la science ou de la politique qui sourit et se déride volontiers, pourvu que la gaieté se présente comme une fille hier élevée. Cette société, dont Panard et Collé n’ont jamais tenu compte, a été pour beaucoup dans la popularité de Béranger. S’il tient aujourd’hui