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montant de l’impôt dont ils sont frappés par la loi. Cet impôt, en effet, est tellement faible, qu’on aurait pu le porter au chiffre que les pachas lui font atteindre, sans peser trop sur les habitans ; seulement alors c’eût été le gouvernement qui aurait gagné tout l’excédant versé aujourd’hui illégalement dans la caisse privée du pacha. La province de Djanik, qui produit annuellement environ 57,000 oks de tabac, ne forme qu’une petite partie du pachalik de Trébisonde, qui, outre Djanik, renferme encore trois autres provinces, savoir : Karahissar, Trabézoun et Cuné, toutes plus ou moins riches en tabac, et cette plante y est soumise au même régime fiscal. En admettant que les individus auxquels se trouvent affermés les droits sur le tabac dans tout le pachalik de Trébisonde retirent de cette perception un bénéfice annuel de 500,000 francs, on ne sera pas très loin de la vérité. Si l’on considère que le même régime domine plus ou moins dans tous les pachaliks de l’Asie Mineure, dont le nombre se monte à onze, renfermant trente-neuf provinces (sandjak) subdivisées en cinq cent quatre-vingt-treize districts (caza), et produisant presque toutes des quantités très considérables de ce tabac, on est amené à retrancher des revenus de la Turquie la somme énorme d’environ 2 millions de francs, qui, sur un seul article et seulement pour l’Asie Mineure, est soustraite au fisc impérial. Quel doit donc être le chiffre de la perte annuelle pour toute l’étendue de l’empire, et combien ce chiffre doit grossir lorsqu’on y ajoute le montant du bénéfice illégal qui résulte du système des concessions appliqué à la perception des droits sur les autres produits de l’industrie agricole et manufacturière, ainsi qu’à la perception de l’impôt direct et indirect !

Une autre cause du chiffre minime des revenus du gouvernement, turc, ce sont, je l’ai dit, les entraves qui paralysent les forces productives de l’agriculture, de l’industrie et du commerce. Tout semble calculé, en effet, pour ralentir la production dans un pays où il serait si facile de l’activer. L’ignorance et l’inertie des fonctionnaires turcs rendent stériles entre les mains du gouvernement les sources les plus précieuses de la richesse nationale. Ce que j’ai dit des mines de l’Asie Mineure s’applique à toutes les autres branches du travail industriel en Turquie. Tandis que, dans les mines, on se contente d’un bénéfice dix fois inférieur à celui que les plus simples précautions permettraient d’obtenir, l’agriculture reste également stationnaire, et ne profite pas au centième des ressources que lui offre l’admirable nature de l’Orient.

Une dernière cause de ruine aggrave le mal déjà produit par les entraves et les abus que je viens d’énumérer. Le gouvernement turc est privé, par l’état de ses forces militaires, des moyens d’action et de répression nécessaires pour assurer l’exécution des lois. De là absence de sécurité, de garanties pour les producteurs comme pour les propriétaires.