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étude historique, qui a coûté à son auteur deux années de travail. Cette manière d’écrire le roman est fort différente de la méthode expéditive du feuilleton. Elle serait estimable chez tout écrivain, elle mérite encore plus de respect chez une femme ; il est vrai que cette femme est Hollandaise, et que la patience est une vertu de sa nation.

Il faut se sentir quelque peu doué de cette vertu, qui est médiocrement à notre usage, pour mener à fin la lecture de quatre volumes hollandais assez compactes dont se compose, en attendant une suite qui n’a pas encore paru, le roman de Mlle Toussaint, surtout accoutumés que nous sommes au fracas des événemens, à la multiplicité et à la complication des aventures. Passer de l’un de nos romans tourmentés à ce roman tranquille, c’est quitter une rue bruyante et embarrassée de Paris, et se trouver tout à coup transporté sur un canal silencieux de la Hollande. L’action se déroule lentement[1] ; chaque personnage, et ils sont nombreux, ne commence à agir, quand il agit, qu’après que le lecteur a eu amplement le temps de faire connaissance avec lui, soit par de longs dialogues, soit par des analyses psychologiques très détaillées ; on ne peut poser plus complaisamment que ne le font les héros et les héroïnes de Mlle Toussaint, mais aussi les portraits ont un air de vie et de naturel qui attachent toujours plus à mesure qu’on les regarde de plus près et qu’on les considère plus longtemps. C’est de la peinture hollandaise en roman. L’auteur dit quelque part : « Nous allons vous présenter trois tableaux, » et l’auteur tient parole ; ailleurs, après avoir consacré deux pages à la description de l’ameublement et de la décoration d’une chambre, description qu’on dirait copiée de Terburg ou de Mieris, l’écrivain, qui semble en avoir assez, ajoute : « Passons des meubles aux personnes. » Puis viennent deux autres pages sur le costume d’un personnage qui n’est pas en première ligne dans le roman. Une page est remplie par le signalement minutieux de ses traits, et ce n’est qu’après avoir traversé tout ce luxe de descriptions, qu’on arrive au caractère ; puis Mlle Toussaint, venant à un autre personnage, un personnage féminin, dit : « Nous avons parlé de son vêtement, nous allons le décrire, » et elle décrit. Je le répète. ces descriptions sont excellentes, elles ont le fini des intérieurs que nous admirons dans les maîtres hollandais : une certaine chambre sombre à Utrecht rappelle les clair-obscurs de Rembrandt ; mais, si la peinture se fait pardonner par la perfection de la touche et du pinceau la minutie des détails, la prose, même la plus achevée, ne saurait les rendre assez présens et assez réels pour qu’ils ne lassent pas bientôt l’œil de l’esprit : l’esprit sent promptement le besoin de considérer autre chose que des formes matérielles, quelque admirablement qu’elles

  1. L’auteur le confesse au commencement du neuvième chapitre, « continuant un récit qui a fait encore si peu de chemin, Een verhaal vervolgerede, dat nog schlechts zoo Korte Schreden voorwaarts heeft Gedaan, t. I, p. 294. »