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qu’elle a passées à se divertir en toute liberté dans la campagne, jamais une lutte, jamais une rixe, jamais une querelle, jamais surtout de ces spectacles honteux d’ivrognerie qui accompagnent trop souvent en Europe les réjouissances populaires. Un certain ordre règne même jusque dans le désordre de l’arrivée et du départ. L’uniforme du moindre agent de police n’est jamais nécessaire pour maintenir la tranquillité. Les Péruviens sont d’un caractère pacifique et doux ; l’homme bien mis peut se mêler sans crainte à toutes leurs réunions et à toutes leurs fêtes. L’Indien semble même flatté de voir le blanc se confondre quelquefois avec lui dans la foule, il le salue poliment, et, si un caballero est remarqué dans un des cercles nombreux formés autour des danseurs de zambacueca, la meilleure place lui est immédiatement donnée. C’est une sorte d’hommage tacite rendu à l’aristocratie de la couleur et à la supériorité de la race.

Le soir, pour terminer dignement une journée si bien remplie, les plus intrépides se rendent encore, au fond des faubourgs de Lima, dans quelques chinganas (sorte de taverne), où la danse reprend comme de plus belle et se prolonge quelquefois très avant dans la nuit. La chicha et le pisco y circulent avec la même profusion que le matin. Alors, parmi les nègres surtout, la zambacueca recommence avec plus de fureur que jamais. On entendrait à un quart de lieue à la ronde le concert des voix et les trépignemens frénétiques qui en composent l’orchestre infernal. À voir toutes ces figures noires éclairées à demi par le reflet de deux mauvaises chandelles collées contre la muraille, les verres de pisco qui passent de mains en mains, les excitations, les applaudissemens, les cris qui s’échappent de toutes ces poitrines, on dirait un véritable pandémonium. Ce n’est point là qu’on peut observer les divertissemens des Amancaës dans leur gracieuse originalité. Cette zambacueca, ces orgies nocturnes des nègres ne sont qu’un hideux contraste et non pas un pendant à la fête du matin. Aussi puis-je me dispenser de décrire des scènes qu’on devine, et qu’il est assez difficile d’ailleurs de retracer.

C’est assurément un brillant spectacle que celui de ces fêtes populaires, de ces solennités religieuses si chères aux Liméniens. L’Européen cependant, qui observe de sang-froid cette population rieuse et insouciante, ne peut se défendre d’une pensée de tristesse en présence de ces étranges tableaux qui semblent ne devoir éveiller que de joyeuses impressions. Quelle différence y a-t-il, se demande l’étranger, entre le Pérou émancipé et le Pérou du temps des vice-rois ? N’est-ce point encore aujourd’hui comme autrefois le même goût pour les spectacles, pour les pompes extérieures, pour tous les plaisirs des yeux ? Les citoyens de la république péruvienne ont-ils fait le moindre effort pour élever leur vie privée au niveau des graves devoirs que leur créait