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de la province de Carabaya. Le sol ne produit qu’un peu d’orge qui ne mûrit jamais, et que l’on donne en herbe aux bestiaux, des pommes de terre, des yücas, et quelques autres racines dont se nourrissent les Indiens. Les montagnes renferment une assez grande quantité de mines d’argent, toutes depuis long-temps abandonnées.

Après avoir dépassé Agua-Caliente (eau chaude), pauvre posta près de laquelle coulent des eaux minérales qui lui ont donné son nom, et Manangani, petit village à douze lieues de Santa-Rosa, on arrive à Sicuani. Ici, la végétation commence enfin à montrer quelque puissance, et la culture prend un peu plus d’extension. De Sicuani jusqu’au Cusco, un grand nombre de villages bordent la route : ce sont d’abord San-Pablo, San-Pedro, Tinta, auprès duquel on voit encore les ruines d’un palais indien. Un peu plus loin, sur une montagne peu élevée, on distingue, à quelques pas de la route, le cratère éteint d’un volcan, qui a semé de pierres calcinées tout le pays environnant. Vient ensuite Combapata, à six lieues de Sicuani, et, sept lieues plus loin, Quiquijana, où un pont en lianes, modèle primitif de nos ponts suspendus, traverse la rivière dont, quelques jours auparavant ; j’avais vu la source à la Raya. À Quiquijana, la richesse et la fertilité du pays annoncent an voyageur qu’on approche du Cusco. On découvre enfin cette ville assise au milieu des montagnes, et, deux heures après, on y entre par un long et tortueux faubourg.

Le vieux Cusco n’existe plus depuis long-temps, ou du moins on n’en retrouve que les débris épars, sur lesquels s’élève le Cusco moderne, le Cusco des Espagnols, ville insignifiante et qui ne peut certes que faire regretter l’ancienne capitale des Incas ; aussi je ne parlerai que de celle-ci. Le Cusco fut fondé, en l’an 1002, par Manco Capac, premier Inca du Pérou. Aujourd’hui, à côté des maisons espagnoles, on y rencontre encore d’assez nombreuses ruines, qui rappellent la domination de la race indienne. L’église de Santo-Domingo est bâtie sur les débris mêmes du temple du Soleil. Derrière le chœur actuel, le temple s’élevait en demi-cercle. Cet édifice, dont la partie inférieure est encore très bien conservée, est remarquable par le fini du travail des pierres, toutes d’une dimension égale et si parfaitement unies, quoique sans ciment, qu’elles semblent ne former qu’un seul bloc. À quelque distance était le palais des Vierges, dont on voit les débris dans la rue del Triunfo. On en avait d’abord fait un couvent, puis une caserne. Ces ruines sont remarquables, plus encore que celles du temple du Soleil, par la dimension et surtout par la forme bizarre des pierres, taillées en polygones irréguliers de huit, dix et jusqu’à douze faces. Ces blocs énormes n’en sont pas moins si habilement assemblés, qu’aujourd’hui même, là où la main des hommes ne les a pas ébranlés, il est impossible de faire pénétrer une lame de couteau entre les deux pierres