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de la vocation conservatrice et ministérielle de M. Victor Hugo s’irritent aujourd’hui de l’écart un peu violent qui l’emporte si loin de la route sur laquelle ils l’attendaient, en vérité, je conçois leur colère ; elle est proportionnée à la naïveté de leurs espérances. Il s’en faut cependant que ce soit une colère équitable, et je n’y découvre, quant à moi, que le revirement exagéré qui suit d’ordinaire les illusions perdues. Je prétends même que l’on n’aurait aucune raison d’en vouloir à M. Victor Hugo de sa conduite politique, si l’on ne s’était ridiculement abusé jusqu’à croire qu’il dût jamais cesser d’être un pur littérateur. Cette conduite extrême et singulière qu’il tient depuis dix-huit mois, ce brusque crochet par lequel il a rompu sa trace et déconcerté si rudement ses plus humbles fidèles, ce seraient, je l’avoue, des torts inexcusables chez quiconque posséderait à quelque degré que ce fût le sens des devoirs publics et du gouvernement des hommes ; mais on peut être doué de beaucoup d’autres distinctions sans y joindre toutefois ces rares qualités, et il y a de la cruauté à reprocher aux gens de ne les point avoir à les en blâmer, à les en maudire, par cela seul qu’on s’est avisé de leur en décerner le brevet dans un accès de complaisance trop gratuite. M. Victor Hugo est né avec la science des reflets, des teintes, des images, avec le goût ardent des effets de couleur et des décors chamarrés, avec la passion exclusive du pittoresque : c’était déjà un assez riche domaine.. Des admirateurs trop échauffés ou trop candides ont inventé d’y ajouter un autre empire, qui n’était pourtant pas du voisinage, l’empire des opinions et des affaires. Maintenant que la victime de leur enthousiasme se comporte sur cette scène scabreuse en homme que Dieu n’avait pas formé pour elle, ils lui font un crime d’état des fantaisies de sa ligne parlementaire, quand celles-ci ne sont, après tout, et je le veux prouver, que des procédés poétiques transportés mal à propos du monde des phrases dans le monde des réalités Où est la justice en tout cela, et pourquoi les adorateurs d’idoles se vengent-ils toujours sur elles de les avoir adorées ?

Non, il n’y a pas autre chose que de la littérature dans les récentes manifestations du nouveau tribun recruté par nos montagnards, et je suis tout prêt à confesser qu’elles ne me sembleraient pas autrement intéressantes, si elles ne se rattachaient par les liens les plus étroits au diagnostic général des maladies littéraires de notre époque. Prenons-y donc garde : elles ne sont que cela, mais elles sont tout cela, et c’est à considérer ; elles sont comme autant de traits qu’il faut pouvoir apprécier pour bien connaître une idiosyncrasie plus étrange que glorieuse, soit, mais qui, telle quelle, ou par dépravation ou par sottise, ne s’en est pas moins produite dans notre société à mille endroits et sous mille masques, l’idiosyncrasie toute moderne des lettrés de haute imagination. Mon idée serait en somme, qu’à envisager ainsi la politique