Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/926

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des choses extérieures. Il n’y a que l’homme intérieur qu’ils ne sachent pas, et c’est parce que celui-là est partout absent de leurs vers et de leur prose, que ni leurs vers ni leur prose ne vivront. Ces orageuses natures se sont tout uniment abattues sur les lieux communs que la mode adoptait tour à tour ; ces penseurs n’ont rien fait que d’amplifier là-dessus à qui mieux mieux en ciselant des mots, en combinant des coups de théâtre et des imbroglios de roman. Ils se sont déchaînés hors de toutes les vraisemblances et de toutes les convenances pour prendre le devant sur les penchans de la foule, pour lui arracher la primeur de ses approbations par de si violentes caresses, pour essayer de frapper par l’extraordinaire, n’étant point capables de toucher autrement ; leur sublimité est là. Quand la postérité dressera notre bilan littéraire, il ne restera certainement pas de tout cela, dans l’estime commune, autant qu’il reste des déclamations de Sénèque le rhéteur, des pièces de Sénèque le tragique, ou des dix tomes de la Clélie. La postérité aura bientôt fini de trier notre bagage ; elle écartera tout de suite du pied le pêle-mêle de nos faux atours, morceaux de rencontre sur les oiseaux et les arbres, sur les clairs de lune et les soleils couchans, périodes assorties sur l’amour paternel, sur le délire des mères, sur la grace des enfans, sur la fatalité, sur le peuple, descriptions minutieuses d’ameublemens et d’habits, racontage insipide d’histoires interminables, situations forcées et grimaçantes d’un théâtre réduit à la brutalité des jeux de scène, tout le plus beau qu’il y ait dans notre lyrisme, dans nos feuilletons, dans nos drames. De son pied dédaigneux, la postérité crèvera ces édifices de toile peinte ; elle cassera les ficelles qui les tiennent debout, et, cherchant derrière tout ce fatras la pensée dont parlent toujours ces prétendus penseurs, elle ne trouvera que le vide et l’immensité de leur orgueil. Ce n’est pas de quoi l’arrêter beaucoup.

L’orgueil, la folie de l’orgueil, tel sera dans l’avenir l’ineffaçable cachet de cette littérature avortée. On saura de reste comment elle a gagné la maladie qui lui laissera sa marque. Dépourvues de nourriture sérieuse et tournant sur elles-mêmes comme une meule qui moudrait sans grain, ces imaginations désordonnées se sont consumées dans le culte idolâtre de leur fausse grandeur. Uniquement éprises, du luxe de la forme, elles en ont appliqué toutes les ressources à glorifier de la tête aux pieds les heureux mortels chez qui elles logeaient. Il y a dans tous les sujets possibles un terme quelconque à l’emploi des épithètes métaphoriques et des antithèses hyperboliques, dans tous, excepté dans l’hosannah perpétuel que ces gens-là chantent à leur génie. Comme les idées ne sont chez eux que des mots, il n’en est pas une qui prenne assez de place en leur cervelle, pour y diminuer, pour y restreindre la seule idée qu’ils aient tout de bon, l’idée par excellence,