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domestique qui parle de son foyer, qui jure par ses dieux pénates : « Le poète le plus dithyrambique ne fait jamais un vers faux. Il appartient aux modernes d’accoupler ainsi le sang-froid à l’émotion. Les modernes sont les salamandres de la poésie. » Que c’est joli, mon Dieu ! et comme il fait bon d’avoir des amis ! M. Hugo ne se brûlera donc jamais dans les brasiers qu’il allume. — À ces causes et autres entendues, j’en suis aujourd’hui à soupçonner que sa politique n’est pas précisément assez naïve pour être tout-à-fait innocente.

Ce n’est vraiment point par naïveté que M. Hugo est devenu pair de France ; il n’y a rien de moins naïf que les savantes batteries qu’il dirigea si long-temps du fauteuil de l’Institut sur le fauteuil du Luxembourg. Quand il s’écriait en 1842 « Dieu a besoin de sa majesté ! » qu’est-ce que cela signifie, sinon : Sa majesté a besoin de moi ? Quand il vantait, en 1845, la sagesse obstinée du roi de la paix au plus chaud moment de l’affaire Pritchard, n’était-ce point dire à propos qu’il fuyait l’opposition ? Quand, dans cette même heure, il jetait la pierre à la raison humaine et s’inclinait avec tout son cortége de métaphores devant la raison révélée, est-ce que par hasard il ne voulait point donner ainsi un gage authentique à des influences très connues qui auraient appréhendé de compromettre par quelque mélange adultère l’esprit religieux de la pairie ? Quand enfin, toujours en cette même rencontre, il parlait si magnifiquement de ces collègues « entre lesquels il était le dernier par le mérite et par l’âge, » de ces académiciens sublimes « qui habitent la sphère des idées pures, les régions sereines, où n’arrivent pas les bruits extérieurs, qui cherchent le parfait, qui méditent le grand, etc., » à qui parlait-il donc, dans l’Académie, si ce n’est à une dizaine de pairs de France, qu’il eût été certainement contrarié de ne pas accommoder à leur satisfaction ? Il en est parmi ceux-là qui ne sont plus aujourd’hui, selon le goût de ses plus fraîches oraisons, que « de prétendus hommes positifs, des hommes négatifs, de petits hommes d’état armés de petits ongles, des nains ; » mais alors ils étaient pairs, et M. Hugo ne l’était pas, et du nombre de ces pairs il y avait M. le duc Pasquier, la personne de France qui doit être le mieux édifiée sur la naïveté de M. Hugo. Arriva donc cette pairie si désirée. Des causes qui n’ont rien à faire ici, puisqu’elles n’étaient ni politiques ni naïves, ne permirent point au futur conseiller de la couronne de prendre aussitôt son rang, et ne laissèrent pas d’ébrécher un peu son rôle. Son rôle n’en était pas moins tracé d’avance : il transpirait au dehors, grace aux admirations indiscrètes ; c’était une antithèse de conduite pour faire suite à ses antithèses de style. Poète conservateur, il devait servir de pendant au poète de l’opposition. M. Hugo était le contre-poids tout trouvé de M. de Lamartine.