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Camélias nous racontera à sa façon, ou plutôt à la façon de son père, toute l’histoire de France. Ce n’est pas nous, assurément, qui nous plaindrons de voir M. Dumas fils tourner ses regards et ses études vers les horizons monarchiques cette conversion nous touche, et nous souhaitons qu’elle soit sincère. Seulement nous craignons que M. Dumas fils n’ait pas bien consulté ses forces, et que, jacobites ou tories, nous en soyons encore, même après Tristan-le-Roux, à attendre notre Walter Scott. À cette œuvre prétentieusement compliquée nous préférons des récits plus simples, où des personnages vrais et des sentimens naturels, peints avec délicatesse et encadrés dans quelque agreste paysage, suffisent à l’émotion et intéressent sans effort les imaginations délicates. C’est à cette famille de livres aimables qu’appartient un petit roman vaudois de M. Just Olivier, intitulé M. Argant et ses compagnons d’aventure. Ce qui manque à ce récit, c’est l’originalité ; on y reconnaît à tout instant le ton et l’allure de l’école genevoise, cet humour de M. Töpfer qui rappelle celui de Swift et de Sterne, mais avec une nuance plus pure et plus souriante, comme les lacs suisses rappellent les lacs d’Écosse. Il y a constamment un peu de brouillard dans la gaieté anglaise ; celle de M. Töpfer et de ses imitateurs est plus habituée à l’azur et au soleil. L’ouvrage de M. Olivier prendra place parmi les meilleures productions de cette école, au-dessous, mais pas trop loin du Presbytère. Ce M. Argant est un original, arrière-cousin du Sampson de Guy-Mannering, et autour de qui se noue et s’enroule toute la fable du roman. Julien Hubert, son compagnon de voyage, a de la grace et du piquant dans son étourderie juvénile, et ses alternatives de froideur et de tendresse pour Albertine et pour Hortense, deux charmantes figures qui dominent tout le récit, sont analysées et décrites avec une finesse, une légèreté de main qui feraient envie à beaucoup de plumes françaises. Les amours de Julien marchent ainsi, à travers l’attendrissement et le sourire, au milieu des sites pittoresques de l’Oberland, jusqu’à un dénoûment heureux qui ajoute à l’effet de cette lecture. Dire qu’il n’y a pas dans tout cela un peu de manière, que cette verve et cet esprit ne sont pas quelquefois un peu trop suisses, qu’on ne rencontre pas çà et là des digressions inutiles qui impatientent le lecteur pressé, ce serait exagérer ; mais tout cela est doux, reposé, paisible, tempéré d’une légère brise alpestre qui fait circuler à l’entour la fraîcheur et la vie. Lorsqu’on est fatigué de bruit, de génie, de gros livres, de gros draines et de grands hommes, le lendemain d’une représentation d’Angelo ou d’un orage parlementaire, on n’est pas fâché de trouver quelque part, dans quelque humble coin d’une modeste littérature, un de ces petits livres qui nous redisent encore comment on aime, comment on sourit et comment on rêve.

Bien qu’on puisse rattacher au même groupe le dernier ouvrage de M. Veuillot, Corbin et d’Aubecourt, on doit s’attendre à y trouver des allures plus nettes et des contours plus tranchés. Le talent de M. Veuillot conserve, même dans ses douceurs, quelque chose d’agressif qui ne déplaît pas toujours, mais qui s’accorde mal avec l’idée d’une simple histoire de cœur. Hâtons-nous de dire que, dans Corbin et d’Aubecourt, M. Veuillot a observé une plus juste mesure, qu’il a su fondre en un plus harmonieux ensemble la peinture d’une ame aimante et l’orthodoxie religieuse. Rosalie Corbin, son héroïne, est très pieuse, même un peu dévote, ce qui ne l’empêche pas d’aimer très franchement un