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histoires de statues conviées à des repas et manifestant leur bon ou leur mauvais vouloir par des mouvemens de tête, on comprend par quel amalgame de souvenirs antiques et de légendes locales s’est formé, dans l’Espagne du moyen-âge, le conte populaire, si émouvant et si dramatique, du Convidado de Piedra.

Ajoutons que, dans la pompe religieuse qui précédait à Rome la célébration des jeux du cirque et quelquefois dans les triomphes, on portait soit en tête, soit à la suite du cortège, certaines mécaniques monstrueuses dont s’effrayait et se divertissait la multitude. On promenait ainsi, entre autres ridicules et formidables marionnettes[1] des lamio » , goules africaines, que Lucilius appelle oxyodontes[2], c’est-à-dire aux dents aiguës, assez semblables aux papoires de nos processions. Puis s’avançait le Manducus, le mangeur d’enfans, monstre à tête humaine, type colossal du Machecroute lyonnais et du Croquemitaine parisien. Plaute[3] Varron[4] et Festus, merveilleusement interprétés par Rabelais et par Scaliger, nous le dépeignent « avecques amples, larges et horrificques maschoueres bien endentelées, tant au(dessus comme au-dessoubs, lesquelles avecques l’engin d’une petite chorde cachée,… l’on faisoyt l’une contre l’autre terrifcquement clicqueter[5]. » Magnis malis lateque dehiscens et clare crepitans dentibus.


III. – MARIONNETTES ARISTOCRATIQUES ET POPULAIRES.

L’usage de la statuaire mobile et des marionnettes hiératiques est indubitable en Égypte, en Grèce et en Italie ; mais les habitans de ces contrées n’ont-ils employé la sculpture à ressorts qu’à augmenter l’impression religieuse des solennités du culte ? N’ont-ils point songé à la faire servir à des amusemens privés ou à des récréations populaires ? Voyons d’abord en Égypte.

Hérodote nous a appris la coutume établie chez les Égyptiens de faire passer de main en main dans les banquets une figurine de bois peint, représentant un mort dans son cercueil[6]. Plutarque emploie, pour désigner cette figure, le nom de squelette[7], c’est-à-dire, en conservant au mot σχελετόν son acception antique, un corps desséché, une momie. Ces statuettes avaient, suivant Hérodote, une et quelque

  1. Inter coeteras ridiculas formidolosasque personas, dit Pomp. Festus, voc. Manduci, au. Paul. Diac., Except., etc., p. 90, Edit. Lindmann.
  2. Lucil., Satir., lib. XXX.
  3. Plant., Rud., act. II, sc. VI, v. 51.
  4. Varro, de Ling. latin., lib. Vu, § 95, p. 372.
  5. Pantagruel, liv. 1V, cap. 59.
  6. Herod., lib. II, cap. LXXVIII.
  7. Plutarcl., Sympos. septem sapient., Oper., t. II, p. 248, B. – cf. Id., ibid., de Isid, § 15, p. 357, D, et le docteur Yong, Hierat, litter., p. 104.