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Rourville a rapporté tout récemment de son voyage scientifique dans la Cyrénaïque plusieurs poupées de terre cuite qui vont enrichir la collection du Musée de plusieurs variétés. Une dont j’ai vu le dessin offre une rare particularité : elle est assise et n’a point d’articulations aux genoux ni aux hanches ; les épaules seules offrent des trous préparés pour l’engrenage des bras. D’ailleurs, les statuettes dont nous venons de parler, quoique d’un assez bon style dans quelques parties, sont (il ne faut pas l’oublier) de simples hochets, des παίγνια, ou plutôt des χοροχόσμια (poupées de jeunes filles). Rien ne nous autorise à considérer aucune d’elles comme avant concouru à l’exécution d’une scène dramatique quelconque.

Mais, à défaut de monumens figurés, les textes prouvent péremptoirement que, dans les beaux temps de l’art grec, les marionnettes ont eu accès dans les maisons des riches, et qu’elles égayaient notamment la fin des repas à Athènes. Xénophon, dans le récit du fameux banquet de Callias, nous montre, parmi les divertissemens que cet hôte attentif avait préparés pour ses convives, un Syracusain, joueur de marionnettes. Il est vrai qu’à la demande de Socrate, il laissa reposer ses comédiens de bois, et fit jouer à leur place, par un jeune acteur et une jeune actrice réels, un gracieux ballet de Bacchus et Ariane[1] ; mais il n’est pas moins prouvé, par la présence d’un joueur de marionnettes dans ce cercle élégant, que d’ordinaire, et devant des convives d’un goût moins sévère, ce genre de spectacle était ordinairement bien accueilli.

La passion des marionnettes, poussée jusqu’à la manie, jeta de la déconsidération sur plusieurs grands personnages, entre autres sur Antiochus de Cyzique. Non-seulement ce prince, à peine monté sur le trône, s’entoura de mimes et de bouffons, dont il étudia le métier avec une application peu convenable à son rang ; il s’éprit encore d’un amour extravagant pour les marionnettes : sa principale occupation était de faire mouvoir lui-même, avec des cordes, de grandes figures d’animaux recouvertes d’or ou d’argent, et, « pendant qu’il s’amusait ainsi puérilement à faire manœuvrer des mannequins, son royaume, dit l’historien auquel nous empruntons ces détails, était dépourvu de toutes les machines de guerre qui font la gloire et la sûreté des états[2]. »

Le peuple, en Grèce, prit aussi une grande part au spectacle des marionnettes. Le Syracusain que nous venons de rencontrer au festin de Callias nous apprend qu’outre les représentations qu’ils allaient donner chez les gens riches, les hommes de sa profession (les névrospastes, comme on les appelait) avaient encore des théâtres, soit à demeure,

  1. Xénoph., Sympos., cap. iv, § 55.
  2. Diodor., Excerpt. de virtut., t. i., p• 666, segq.