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Dieu ; seulement ne leur faites pas violence, laissez-les prêcher en paix Satan. Restait à savoir si les croyans pourraient contenir leur indignation. Malgré leur profession de foi, les indépendans eux-mêmes ne furent pas toujours capables d’un tel héroïsme. Ils votèrent en Angleterre pour une tolérance limitée dont les bénéfices ne s’étendraient pas aux papistes, et en Amérique ils punirent même de mort les opinions contraires à ce qu’ils nommaient les dogmes fondamentaux du christianisme.

Une secte nouvelle, fondée par un simple berger, était destinée à faire un pas de plus et, à saper les bases mêmes de tout dogmatisme.

George Fox, le fondateur de la Société des Amis, était né, en 1624, à Drayton, dans le comté de Lancastre. Lui-même nous a laissé un récit de sa vie (Fox’s Journal), dont sir James Mackintosh a parlé comme d’une « œuvre des plus extraordinaires et des plus instructives, que nul lecteur compétent ne peut parcourir sans admirer et révérer la vertu de son auteur. » Peut-être l’admiration du docte historien s’est-elle laissé entraîner bien loin par le souvenir des injustes dénigremens du XVIIIe siècle. En tout cas, la naïve biographie de Fox est certainement un livre plein d’intérêt. Malgré l’ignorance de l’apôtre quaker, les angoisses et les épreuves dont il est sorti avec la conviction qu’il avait reçu une mission divine offrent plus d’un point de ressemblance avec celles qu’ont traversées saint Augustin, Luther et saint François d’Assise.

Fils d’un tisserand, et n’ayant appris qu’à lire et à écrire, Fox avait fait preuve, dès son plus bas âge, d’un tempérament grave, doux et mélancolique. Au lieu de jouer, son bonheur était de lire la Bible. Frappés de sa piété, ses parens avaient eu l’idée de le destiner à l’église ; mais il se refusa à leurs désirs, et à douze ans il fut placé en apprentissage chez un cordonnier, qui faisait également le commerce des bestiaux. Déjà l’esprit volontaire de la jeunesse se tournait chez lui vers la dévotion. Les propos impies des autres apprentis lui étaient si pénibles à entendre, qu’il se réfugiait pour travailler dans quelque coin solitaire. Bientôt même il quitta l’établi, et prit soin comme berger des troupeaux de son maître. Sa nature inquiète toutefois ne lui permit pas de s’en tenir à cette nouvelle existence, et, ayant quelques ressources du côté de sa famille, il ne tarda pas à renoncer à toute profession. Un jour qu’il errait seul à travers champs (il avait alors dix-neuf ans), des pensées plus fortes que lui s’emparèrent de son esprit ; il se prit à songer à l’aveuglement avec lequel les hommes s’abandonnaient à l’impiété, à la débauche, au mensonge, aux blasphèmes, à l’ivrognerie, et, dans sa douleur, il demanda à Dieu avec larmes et prières comment il était possible d’arracher les impies à leurs iniquités, comment surtout il devait faire, lui, jeune homme perdu au