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vu, les mouvemens de ses comédiens. Cette construction était en effet le seul moyen d’obvier aux inconvéniens qu’opposait à ce spectacle la forme des théâtres anciens, tous construits, comme on sait, à ciel ouvert, excepté les odéons.

L’appareil que j’indique a dû, réduit à de moindres proportions et rendu ainsi plus portatif, servir, en Grèce et en Italie aux joueurs de marionnettes ambulans. Cette disposition s’est d’ailleurs, à peu de chose près, perpétuée jusqu’à nos jours, et l’on peut la reconnaître dans les lobes de forme à demi antique, où se montrent nos marionnettes en plein vent. Comme chez nous, le névrospaste, ame et intelligence unique de son spectacle, devait occuper le centre de ce postscenium étroit, sorte de petite forteresse que les Italiens nomment aujourd’hui castello[1], les Espagnols castillo[2] et nous castellet, probablement par suite de l’ancienne dénomination latine[3]. Le savant jésuite Quadrio, trompé par un passage obscur d’Hesychius, où ce lexicographe mentionne un divertissement autrefois en usage en Italie[4], a cru reconnaître dans le mot κορυθαλλία le castellet des marionnettes actuelles, et dans certains masques de bois, appelés κύριθρα, le nom particulier des marionnettes italiques. C’est tout un petit roman philologique, qui n’a pas la moindre réalité[5]. Le jeu rustique dont il s’agit, consacré peut-être à Diane, consistait à se couvrir la tête d’un masque de bois, σωπεῖον ξύλινον, et à s’entre-choquer le front à la manière des béliers. Il n’y a rien là qui ait rapport aux marionnettes. La raison qui me porte à croire que notre castellet vient en droite ligne des anciens, c’est que nous trouvons ce petit appareil théâtral employé (le nom et la chose) dans toutes les contrées qui ont conservé l’empreinte de la civilisation grecque ou romaine ; on le voit même en Orient, en Perse[6], à Constantinople[7], au Caire[8]. Seulement, dans les boutiques de marionnettes ambulantes qui ont besoin d’être portatives, on a supprimé, dans les temps modernes, le plancher, que les Espagnols appellent retablo[9], suppression qui a amené un autre changement. On

  1. Quadrio, Della Storia d’ogni poesia, etc., t. iii, parte 2a, 245-246.
  2. Sell, de Covarruvias, Tesoro de la lengua castellana au mot Titeres.
  3. Les Allemands appellent la boutique des marionnettes poppenkasten.
  4. Hesych., voc. Κυρυττόι.
  5. C’est le jésuite Bisciola qui en est le premier auteur. Voy. Horæ subsecivæ, lib. V, cap. 12, p. 360.
  6. Chardin, Voyage en Perse, etc., Amsterd, 1735, t. III, cap. XII, p. 59 et 60, et sir H. Jones Brydge’s, Mission to the court of Persia, t. I, p. 407. Ce sont ordinairement les bohémiens qui montrent les marionnettes en Perse.
  7. Pietro della Valle, Voyages en Turquie, etc., t. I, p. 151.
  8. Niebulir, Voyage en Arabie, t. I, p. 151, pl. XXVI, fig. T.
  9. Francisco de Ubeda, Libro de entretenimiento de la picara Justina, etc., cap. 2, n. 1, p. 60 et 61.