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sont en ce moment en souffrance, nous aurions peine à arriver à un total de huit cent mille individus, hommes, femmes et enfans. Certes c’est un fait grave que l’état de souffrance d’un pareil nombre de personnes, mais il n’est cependant pas de nature à entraîner la ruine d’un grand peuple. Les socialistes n’ignorent pas que de 1847 au printemps de 1849 il y a eu en France un nombre au moins égal d’ouvriers atteints par le chômage ou par la ruine des fabriques ; ils n’en sont pas encore pourtant à vouloir rayer la France du nombre des nations.


IV

Celui qui veut connaître les véritables plaies de l’Angleterre doit porter son attention sur les classes agricoles. Les renseignemens abondent d’ailleurs sur ce sujet intéressant, et il faut être bien mal instruit pour ne pas mettre à profit l’enquête publiée par le Times en 1844 sur la condition des paysans, — l’enquête faite par MM. Baker, Symons et quelques autres, sous la direction de M. Chadwick, et publiée sous le titre de Rapports sur la condition sanitaire de la population laborieuse ; — l’intéressant rapport de M. Austin sur l’emploi des femmes dans l’agriculture ; — les rapports du Poor-Law Board sur le nombre des vagabonds, ceux des commissaires envoyés par le conseil d’éducation dans le pays de Galles et les minutes de ce même conseil ; — enfin les essais de M. Worsley et de miss Meteyard sur la dépravation des enfans (on juvenile depravity). En outre, il a paru à Londres, au commencement de cette année, un livre curieux sur la condition sociale du peuple en Angleterre et en Europe. L’auteur de ce livre est M. Joseph Kay, qui a obtenu à Cambridge, en 1843, une distinction universitaire à laquelle est attaché le.privilège de voyager deux ans aux frais de l’université. M. Kay a employé son voyage à étudier sur le continent l’organisation de l’enseignement primaire et les effets de la division de la propriété Ce livre fournirait a lui seul les élémens d’un parallèle instructif entre l’Angleterre et la France.

Les Anglais sont justement fiers de leur agriculture : nulle part, en effet, la terre n’est mieux cultivée et ne donne à surface égale des produits plus beaux et plus abondans ; mais, dans leur admiration, poussée jusqu’au fanatisme, ils ne peuvent comprendre que, tout en rendant justice aux merveilleux progrès qu’a produits chez eux le système des grandes cultures, on tienne compte de l’influence que ce système a exercée sur la condition matérielle et morale de la population, et qu’on mette en balance ses avantages et ses inconvéniens. Une nation n’est pas une machine, et un accroissement de produits ne peut être envisagé d’une manière absolue comme un signe de prospérité, s’il ne s’obtient