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qui contiennent quelques villes industrielles, ne comptent pas tout-à-fait deux habitans et demi par acre, et les comtés exclusivement agricoles n’en comptent pas deux. On est donc en droit de dire que le vide se fait dans les campagnes de l’Angleterre. Que serait-ce si des calculs suffisamment exacts nous permettaient de faire abstraction des villes ? car on sait que la population agglomérée des villes équivaut en Angleterre au tiers du chiffre total des habitans.

On ne peut s’empêcher d’être frappé de l’étrange analogie qui existe entre l’Angleterre de nos jours et un pays qui fut célèbre aussi par la perfection de son agriculture et l’estime en laquelle il avait la science agricole : nous voulons parler de l’Italie ancienne, de la patrie des Caton, des Varron, et des Columelle. Lorsque Rome avait trois millions d’habitans, lorsque Ostie était le premier port du monde, lorsque Baïa, Naples, Herculanum et Pompéi réunissaient dans un espace de quelques lieues quatre-cent mille habitans lorsque Tarente, Brindes, Bologne et cinquante autres municipes regorgeaient d’habitans et de richesses, où en étaient les campagnes romaines ? Dès les dernières années de la république, la classe des petits propriétaires avait disparu, leurs domaines avaient été acquis par le patriciat romain, et Marius, renonçant à recruter l’armée parmi les possesseurs du sol, avait dû admettre dans les légions des citoyens non propriétaires. Déjà les agriculteurs romains conseillaient, eux aussi, de laisser à la Sicile, à l’Afrique, à l’Égypte le soin d’approvisionner Rome en céréales, et de convertir les terres de labour en pâturages pour économiser la main-d’œuvre. Au temps de Pline, la révolution était accomplie ; les journaliers des campagnes n’avaient d’autre alternative que de s’enrôler sous le drapeau des prétendans militaires ou de venir grossir la populace qui, à Rome et dans les grandes villes, vivait des largesses de César et des dignitaires de sa cour. Autour des parcs immenses du patriciat s’étendaient à l’infini des pâturages où quelques esclaves suffisaient à garder et à soigner de nombreux troupeaux. Latifundia perdidere Italiam, a dit un auteur ancien. S’il est vrai que cette substitution universelle de la grande à la petite propriété, cette extinction graduelle de la population agricole, aient eu pour résultat d’affaiblir et d’énerver l’Italie et de la livrez sans défense aux barbares, ce qui se passe depuis un demi-siècle en Angleterre doit donner matière à de sérieuses réflexions. Il ne restait en Italie, au IVe siècle, que de grands propriétaires et des esclaves ; la situation du journalier anglais ne vaut guère mieux que l’esclavage antique : il en a les mœurs comme ; il en a la misère. C’est la nature de l’esclave de mentir et de voler, disaient les Romains. Les statistiques criminelles de l’Angleterre attestent qu’on en pourrait dire autant de sa population agricole. Un statisticien, M. Baines, a presque réussi à prouver que l’immoralité