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et les marionnettes. Celles-ci, n’ayant à craindre aucune concurrence, se reposèrent sur leur vieux répertoire. Aux foires de 1720, il intervint une transaction entre les petits et les grands théâtres : on permit aux forains de jouer des pièces avec quelques paroles entremêlées de chant et de jargon ; les marionnettes seules restèrent, comme toujours, maîtresses de tout dire, de tout chanter et de tout se permettre. Elles profitèrent de la liberté, et se montrèrent, cette année surtout, outrageusement satiriques. Le Journal ale Paris de Mathieu Marais nous apprend qu’elles brocardèrent sur un ridicule épisode du système, l’affaire du duc de La Force, décrété par le parlement pour être ouï au sujet de la conversion qu’il avait faite de ses billets en marchandises de droguerie et d’épicerie, ce qu’on trouvait messéant à sa dignité de duc et pair. Polichinelle s’égaya aussi à propos d’une aventure assez lugubre ; je veux parler du feu qui prit, à l’issue d’un petit souper, aux paniers de Mme de Saint-Sulpice, jeune et jolie veuve de la société intime de Mme de Prie, du duc de Bourbon, du prince de Conti et du comté de Charolais, accident dont elle faillit mourir, et sur lequel il courut dans Paris une version burlesque et peu charitable. Mathieu Marais, qui tient note de ces bruits et qui semble y croire (17 février 1721), écrit quinze jours après : « J’ai appris que Polichinelle joue cette dame à la foire, et dit à son compère qu’il est venu des grenadiers voir sa femme, et lui ont mis un pétard sous sa jupe et l’ont brûlée. Il a dit aussi : Compère, je suis en décret, et cela me fâche beaucoup. — Tu es en décret ? Il n’y a qu’à te purger, dit le compère.- Oh ! s’il ne tient qu’à me purger, répond Polichinelle, j’ai chez moi bien de la casse et du séné, et je me purgerai tant que je me guérirai du décret. — Ainsi les marionnettes, remarque Mathieu Marais, ont joué les princes, le duc de La Force et cette dame, dont l’aventure triste a été tournée en ridicule[1]. » Étonnez-vous donc du succès de Polichinelle !

En 1722, Francisque, qui, depuis quelque temps, avait obtenu par tolérance de joindre à ses pantins et à ses danseurs une troupe d’acteurs parlans et chantons ; avait espéré obtenir pour lui et ses trois principaux auteurs, Fuzelier, Lesage et d’Orneval, le privilège de l’Opéra-Comique, genre nouveau, que ces spirituels écrivains avaient en quelque sorte créé ; mais il échoua dans son espoir, et le triumvirat, irrité de tous les obstacles que les théâtres privilégiés lui suscitaient, refusa de se plier aux entraves du monologue dont l’Opéra, les comédiens français et les Italiens coalisés venaient d’obtenir le maintien[2]. Plutôt que de se résoudre à ne faire parler et chanter qu’un seul personnage, nos trois poètes aimèrent mieux n’avoir que des marionnettes pour interprètes.

  1. Journal de Paris, dans la 2e série de la Revue Rétrospective, tome VII, p. 355 et 369.
  2. Ce genre de pièces datait de 1707. Un arrêt du 22 février 1707 ayant défendu aux forains de jouer des comédies, colloques ni dialogues, ils en conclurent qu’ils pouvaient jouer des monologues, ce qui fut toléré.