Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/1087

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attribue la conception première aux entretiens qu’il eut, du temps de son apprentissage, avec le cordelier Gaudet d’Arras. La science de ce dernier suppléait à ce qui manquait de ce côté aux pensées aventureuses du jeune homme, et le système se formait ainsi, comme l’antique chimère, de deux natures bizarrement accouplées.

Il semble évident, d’après la vie de Restif de la Bretone, qu’il suivait, dans ses idées philosophiques une sorte de patron tracé, que brodait à plaisir son imagination fantasque. La logique de son système manque entièrement dans sa conduite personnelle, et il ne peut que s’écrier, à chaque instant : « Ah ! que je me suis trompé ! ah ! que j’ai été faible ! ah ! que j’ai été lâche ! » - Voilà le réformateur. — Pour Gaudet d’Arras, au contraire, dont il a longuement détaillé le type dans le Paysan perverti, il n’y a ni vertu, ni vice, ni lâcheté, ni faiblesse. Tout ce que fait l’homme est bien, en tant qu’il agit selon son intérêt ou son plaisir, et ne s’expose ni à la vengeance des rois ni à celle des hommes. Si le mal se produit ensuite c’est la faute de la société qui ne l’a pas prévu. Cependant Gaudet d’Arras n’est pas cruel, il est même affectueux pour ceux qu’il aime parce qu’il a besoin de compagnie, sensible aux maux d’autrui par suite d’une espèce de crispation nerveuse que lui fait éprouver le spectacle de la souffrance ; mais il pourrait être dur, égoïste, insensible, qu’il ne s’en estimerait pas moins et n’y verrait qu’un hasard de son organisation, ou plutôt qu’un but mystérieux de cette immortelle nature qui a fait le vautour, et la colombe, le loup et la brebis, la mouche et l’araignée. Rien n’est bien, rien n’est mal, mais tout n’est pas indifférent. Le vautour débarrasse la, terre des chairs putréfiées, le loup empêche la multiplication de races innombrables d’animaux rongeurs, l’araignée réduit le nombre des insectes nuisibles ; tout est ainsi : le fumier infect est un engrais, les poisons sont des médicamens… L’homme, qui a le gouvernement de la terre, doit savoir régler les rapports des êtres et des choses relativement à son intérêt et à celui de sa race. Là, et non dans les religions ou les formes de gouvernemens, se trouve le principe des générations futures. Avec une bonne organisation sociale, on se passera fort bien de la vertu : — la bienfaisance et la pitié seront l’affaire des magistrats ; — avec une philosophie solide, on annulera de même les peines morales lesquelles sont le résultat, soit de l’éducation religieuse, soit des lectures romanesques.

Rien n’est bien neuf aujourd’hui dans cette doctrine de 1750, qui remonte aux illustres épicuriens du siècle de Louis XIV directement, et que l’on retrouve tout entière dans le Système de la Nature. Nous n’avons voulu que marquer la base sur laquelle s’est fondé tout le système de l’auteur du Pornographe. Quant à lui-même, il n’a accepté, que sous bénéfice d’inventaire les idées de Gaudet d’Arras. Ce matérialisme