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et, pour tout dire, il ne déteste pas qu’on le repaisse de projets immenses, de visées héroïques et d’expédiens à grande portée. Toute la question, personne n’en ignore, c’est d’être demain matin sur nos jambes, car c’est déjà beaucoup pour la veille de suffire à la peine du lendemain. On sait d’ailleurs à peu près ce qui serait bon demain matin, et l’on a juste autant de force qu’il en faut pour essayer modestement cette modeste opération d’un jour sur l’autre. Sans plus d’ambages, il est évident que chacun, tout en réservant en son particulier ses affections et ses doctrines, reconnaît plus ou moins explicitement qu’il ne serait pas mal d’avoir encore du temps devant soi pour s’assurer qu’elles pousseront ailleurs. Le point capital est donc d’un commun accord de se procurer au meilleur marché possible ce temps si nécessaire dans toutes les conjectures et sous tous les drapeaux. Nous jouissons pour l’instant d’un provisoire qui serait au mieux notre affaire, parce qu’il a cela de commode qu’il n’oblige personne à longue échéance. Ce n’est pas sans peine que nous l’avons eu, et ce n’est pas sans peine que nous le continuerons : le continuer ne serait pourtant pas le moins sûr, et ne serait peut-être point le plus ridicule. L’Allemagne n’est-elle pas là tout exprès pour qu’il y ait quelque part au monde une situation plus fausse que notre situation, pour que la misère de notre impuissance soit couverte par de plus impuissantes misères ? Eh bien ! l’Allemagne a tant abusé de son provisoire, que nous avons encore de la marge avant d’aller jusqu’au bout du nôtre. Allons-y donc et tenons-nous-en paix.

Est-ce là cependant à quoi l’on pense quand chacun est au fond d’avis que c’est à cela qu’on devrait penser ? Non ! ce but, qui n’est déjà pas si aisé à toucher, semble trop proche ; on tire au-delà. Les esprits veulent travailler en grand nonobstant la médiocrité de la fortune et l’étroitesse du champ sur lequel ils calculent. Les esprits s’adonnent à des combinaisons merveilleuses, et le merveilleux s’en va de partout ; ils ne rêvent qu’enthousiasmes ardens, et l’on se défie partout de l’enthousiasme ; ils s’imaginent qu’il se fera de beaux coups dans une partie de beaux joueurs : il ne s’en fait plus que de petits.

C’est ainsi qu’il y a dans l’air, depuis quinze jours, comme un bruit de grosses machines qu’on ne voit pas, lesquelles machines paraissent en définitive assez pauvres aussitôt qu’on les voit d’un peu près. Chacun se tourmente pour savoir comment on logera son saint aux Tuileries, lorsqu’on a encore tant à faire pour garder quelqu’un à l’Elysée, c’est le possible, c’est un tabernacle en proportion avec le culte qu’on peut se permettre dans le présent ; tâchons seulement de ne point pis avoir. Les Tuileries, c’est le temple de l’avenir, c’est l’idéal. Étrange contradiction des faiblesses humaines ! on est à peine d’humeur assez constante ou assez sérieuse pour tirer bon parti du possible, et l’on court après l’idéal, comme si l’on avait les ailes que l’on n’a plus. Il est des impérialistes qui s’endorment tous les soirs avec l’espérance de trouver à leur réveil un empire tout bâclé ; Il en est de plus zélés, de trop zélés, qui ne s’endorment même pas là-dessus ; et qui le bâcleraient volontiers tout de suite, voire à coups de poing. Il est des royalistes qui ne songent qu’au moment, pour eux très prochain, où M. le comte de Chambord, redevenu roi de France et de Navarre, rentrera dans Paris, porté, comme Henri IV, par les bras et par les cœurs de tous les bons Français, mais entouré comme Henri IV ne l’était pas, entouré