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le fruit de ses observations sur l’enseignement du dessin et les procédés ingénieux qu’elle y applique, Mme Cavé, dont tout le monde connaît les charmans tableaux, ne vient pas seulement prouver qu’elle a réfléchi profondément sur les principes de l’art qu’elle pratique si bien : elle vient encore rendre un immense service à tous ceux qui se destinent à la carrière des arts, elle montre avec évidence combien la route ordinaire est vicieuse et combien sont incertains les résultats de l’enseignement tel qu’il est. Elle a incontestablement le premier des titres pour être écoutée ; elle parle de ce qu’elle connaît bien, et la manière piquante dont elle présente la vérité ne sert qu’à la rendre plus claire. Je n’irai point, à propos de son ouvrage, faire le procès aux écrivains qui, sans connaître à fond la peinture, et même sans en avoir pratiqué les élémens, écrivent sur cet art et donnent aux artistes des conseils complaisans ; l’élève qui va, son portefeuille sous le bras, étudier à l’académie ne lit guère ces sortes d’écrits, et le peintre tout fait, qui a pris son pli et choisi sa voie, n’a plus le loisir ni la force de se refaire ou de se modifier d’après leurs systèmes ; d’ailleurs ces ouvrages s’occupent beaucoup moins, en général, de la pratique que de la théorie. La vraie plaie, c’est le mauvais maître de dessin, c’est l’introducteur maladroit de ce sanctuaire où lui-même ne pénétrera jamais, ce mauvais peintre qui prétend enseigner et démontrer ce qu’il n’a jamais pu pratiquer pour son propre compte, la manière de faire un bon tableau. Le traité de Mme Cavé vient à propos s’interposer entre ces tristes professeurs et leurs victimes. Il faut mettre sur le compte de leurs funestes doctrines, ou plutôt sur l’absence de toute doctrine dans leur manière d’enseigner, le peu d’attrait que nous avons tous trouvé à l’entrée de la carrière. Qui ne se rappelle ces pages de nez, d’oreilles et d’yeux, qui ont affligé notre enfance ? Ces yeux, partagés méthodiquement en trois parties parfaitement égales dont le milieu était occupé par la prunelle figurée par un cercle ; cet ovale inévitable, qui était le point de départ du dessin de la tête, laquelle n’est ni ovale ni ronde, comme chacun sait ; enfin, toutes ces parties du corps humain, copiées sans fin et toujours séparément, dont il fallait à la fin, nouveau Prométhée, construire un homme parfait : — telles sont les notions qui accueillent les commençans, et qui sont pour la vie entière une source d’erreurs et de confusion.

Comment s’étonner de l’aversion que tout le monde éprouve pour l’étude du dessin ? Mme Cavé voudrait pourtant, dit-elle dans sa préface, que cette étude fût une des bases de l’éducation comme la lecture et l’écriture : en supprimant toutes les méthodes ridicules, en rendant l’enseignement non-seulement logique, mais facile, elle serait cause de la révolution la plus heureuse ; elle guiderait sûrement les premiers pas des artistes dans la longue carrière qu’ils ont à parcourir, et ouvrirait aux gens du monde, aux simples amateurs une source de jouissances aussi vives que variées. La peinture, qui en procure de si grandes aux connaisseurs capables d’apprécier les délicatesses de ce bel art, en apprête de bien plus réelles à ceux qui tiennent eux-mêmes le crayon ou le pinceau, quel que soit le degré de leur talent. Sans s’élever jusqu’à la composition, on peut éprouver un très grand plaisir à imiter tout ce que présente la nature. Copier de bons tableaux est aussi un amusement très réel, qui fait de l’étude un plaisir ; on conserve ainsi le souvenir des beaux ouvrages au moyen d’un travail qui n’a point pour accompagnement la fatigue et l’inquiétude d’esprit de l’inventeur.