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VOYAGE ARCHÉOLOGIQUE EN PERSE.


n’avions voulu négliger aucune des précautions nécessaires pour mener à bien le long et périlleux voyage dont les ruines de Persépolis étaient le principal but, et nous partîmes accompagnés d’un goulâm ou courrier du roi, porteur de nos firmans.

Le devoir du goulâm est, en route, de précéder de quelques pas les voyageurs et de les faire respecter, en les désignant comme les hôtes du châh. À la fin de chaque étape, il doit leur préparer un gîte dans un caravansérail ou dans un village. Il est d’usage en Perse que les voyageurs qui reçoivent l’appui du gouvernement ou du souverain soient munis de barats ou bons royaux d’hospitalité : ils ont ainsi droit aux vivres pour eux, leurs gens et leurs montures ; c’est ce que les Persans appellent sursat. Cependant nous connaissions assez le pays pour savoir qu’il était de notre intérêt, même de notre sûreté, de ne pas avoir recours aux largesses de l’autorité. En effet, ordonnées au nom du châh, imposées par, le mehmândar[1], qui est chargé de les réclamer, ces largesses sont toujours de la part des fonctionnaires persans une occasion de rapine, d’extorsions pécuniaires, et donnent lieu à des querelles qui se renouvellent chaque jour. Il est difficile au voyageur qui en est la cause de se dispenser d’y prendre part ; il ne peut honorablement, rester spectateur impassible de discussions qui dégénèrent souvent en rixes. On conçoit que cette position d’hôte royal n’est pour lui qu’une source de périls, ou tout au moins de désagrémens très graves.

Nous avions donc renoncé à exercer ce droit de sursat ou de vivres, et nous ne faisions usage du sceau impérial apposé sur nos firmans que pour nous faire respecter des populations ou des caravanes au milieu desquelles nous passions la nuit ; mais, pour arriver là, que de luttes ne nous avait-il pas fallu soutenir contre notre goulâm, en même temps mehmândar ! C’est à grand’peine qu’en interposant notre autorité, nous l’empêchions de prélever ce tribut vexatoire par la force du sabre ou du fouet sur de pauvres paysans ou de misérables pâtres nomades. Il faut savoir qu’indépendamment du pain, du laitage ou de l’orge réclamés pour les hommes et les chevaux, ces guides hospitaliers se faisaient encore donner pour eux de l’argent. Cette coutume répugnait à nos habitudes, à notre conscience d’Européens. Nous ne pouvions consentir à jouir des bénéfices de la protection du châh au prix de si odieuses déprédations ; aussi ne voulûmes-nous pas entendre pendant long-temps parler de sursats.

Notre désintéressement paraissait blâmable aux Persans endurcis et surtout à notre goulâm, qui y perdait beaucoup. Le courrier du roi

  1. On appelle mehmândar un individu qui a pour mission d’héberger les hôtes du roi ; mehmân signifie hôte.