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divine ; mais quand ? mais comment ? Ah ! ce n’est pas à nous de connaître le temps… » Et il invoque ce soleil du rajeunissement et du repos, « qui ne se lèvera, dit-il, que sur nos tombes. » N’y a-t-il pas dans l’expression de ces vues sur l’avenir quelque lueur de vérité prophétique qui rejaillit sur nous-mêmes, sur les désastres de l’heure actuelle ?

Qui que vous soyez, en ce moment, n’êtes-vous point d’accord pour avouer, selon la prédiction de l’auteur du Pape, que la révolution est bien vivante, qu’elle n’a point même cessé de vivre, malgré d’apparentes interruptions, se subtilisant en influences impalpables quand elle était chassée de la place publique, passant alternativement des faits dans les idées et des idées dans les faits ; — qu’elle n’est plus politique seulement, qu’elle atteint la racine de la constitution sociale, le dépôt des vérités premières ; — qu’elle n’est plus incidentelle et locale, mais universelle, à tel point qu’on la voit envelopper à la fois dans un réseau d’éruptions volcaniques Paris et Vienne, Rome et Berlin ? Un jour singulier ne s’est-il point fait, à vos yeux, sur ces ramifications ténébreuses qui tiennent l’Europe enlacée, sur ce prosélytisme organisé de la destruction morale décorée du nom de transformation légitime, sur l’a nature et la portée de ces spéculations proclamées régénératrices par des sectaires, et qui hébètent l’ame humaine en l’infectant d’un paganisme rajeuni ? Et, dans cette période nouvelle dans cette atmosphère enflammée et irritée, vous voyez encore se produire un de ces esprits où revit à un degré exceptionnel le sentiment des catastrophes sociales, qui s’arment, dans leurs jugemens, de quelque idéal supérieur de vérité politique ou religieuse. M. Donoso Cortès est aujourd’hui de cette famille des Burke, des De Maistre, — des De Maistre surtout, avec moins de vigueur dogmatique peut-être, avec une faculté plus vive, plus étendue d’observation, qui embrasse dans sa diversité et sa puissante animation le mouvement contemporain. Quelques lettres, quelques discours ont suffi pour faire du penseur espagnol un penseur européen exerçant une visible influence, écouté et commenté avec un étrange intérêt.

À quoi tient le retentissement des opinions de M. Donoso Cortés ? C’est que, à vrai dire, l’ensemble de ces opinions forme un des plus saisissans aperçus jetés sur notre époque et sur ses tendances. C’est que cet énergique talent touche à nos plaies les plus invétérées, sonde dans sa profondeur le mal de la société européenne, soumet à la plus inexorable des analyses les erreurs, les faiblesses inavouées, les passions fatales, les contradictions et les impossibilités dans lesquelles le monde moderne se débat, et puise dans l’observation de ces symptômes les élémens d’une de ces grandes et vigoureuses interprétations qui répondent à un secret instinct des ames dans les crises sociales. À des esprits rongés d’indécision, enivrés du culte du fait, imprégnés de