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Ce qu’il faut remarquer, d’ailleurs, dans les vues émises dès 1837 par M. Donoso Cortès, dans des écrits tels que le Cours de Droit politique, la Loi électorale ou les Principes constitutionnels, c’est un sentiment conservateur plein de perspicacité et de force, s’alliant à cette doctrine de la souveraineté de l’intelligence qui est bien loin, au surplus, d’avoir, dans la pensée de l’auteur, le caractère et la portée qu’elle a pu avoir ailleurs. Ce brillant esprit lutte avec une lucidité merveilleuse dans ce chaos d’idées impossibles, d’influences étrangères, de tendances révolutionnaires dont l’Espagne de cette époque est le théâtre. Si le système représentatif lui semble le mode le plus propre pour dégager sans cesse l’intelligence d’un pays, il maintient en même temps dans son intégrité, dans sa plénitude, l’autorité sociale réalisée par l’institution monarchique, et une de ses curieuses démonstrations est celle où il établit d’abord la différence entre le peuple, qui n’est que l’agrégation matérielle des individus dans leur universalité, et la société, qui est la réunion des hommes comme êtres intelligens et libres, qui est la combinaison de leurs relations morales, — où il représente ensuite la société, comme être moral, une, identique, indivisible et perpétuelle, et ne pouvant vivre, se protéger, exercer efficacement son action que par un pouvoir un, identique, indivisible et perpétuel comme elle : la royauté. Il va plus loin : c’est, à ses yeux, un abus de langage ou plutôt une erreur essentielle, féconde en conséquences désastreuses, de créer partout des pouvoirs, comme le font les théoriciens des gouvernemens mixtes, qu’il appelle des théoriciens corpusculaires, de donner ce nom aux autres institutions publiques, qui sont des garanties légitimes de liberté et de progrès, mais ne sont point des pouvoirs. Le fractionnement, c’est la faiblesse, dit l’auteur ; la faiblesse se termine par la mort, et il hasarde ce pronostic singulier, si l’on considère le moment et le pays où il s’est produit, sur les gouvernemens mixtes « Les publicistes que je combats, dit-il, ont faussé de tout point le gouvernement représentatif, et, s’ils ne rectifient leurs erreurs, j’ose assurer que cette forme de gouvernement ne dominera pas dans l’avenir, parce que l’avenir n’appartient pas à un gouvernement qui n’est autre chose qu’un composé d’une démocratie débile, d’une aristocratie débile et d’une monarchie moribonde. »

Un des chapitres du Cours de droit politique les plus dignes d’être médités et où se trouve, j’ose le dire, un intérêt actuel pour nous, c’est le chapitre des Réformes politiques, qu’on pourrait appeler aussi bien un traité des Sociétés malades. Le mal des sociétés -provient de causes diverses : elles soufrent, parce que leurs lois sont mauvaises, leurs institutions décrépites, leur pouvoir corrompu, Tandis qu’au fond elles valent mieux que leur gouvernement. Alors il arrive fréquemment que ce pouvoir inintelligent et décrépit disparaît dans une tempête