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spontané et intelligent de l’opinion nationale. Voilà pourquoi, nous le disons hautement, nous préférons l’ordre qui s’est fait en France à l’ordre qui s’est fait en Allemagne, parce que notre ordre s’est fait par nous et pour nous.

Parmi les gouvernemens, il est vrai, la Prusse a semblé vouloir se porter comme héritière de la révolution germanique. Elle a essayé même d’en parler le langage, tout en lui donnant un accent de cour et de chancellerie. C’est ainsi que, dans une note du 3 mai, adressée au cabinet de Vienne, le gouvernement prussien proteste contre le congrès que l’Autriche avait proposé de réunir à Francfort, si ce congrès, dans la pensée de l’Autriche, représente l’ancienne diète germanique, et doit en avoir les droits, « Cette diète plénière, dit la note du 3 mai, a été dissoute par des résolutions légales en l’année 1848. » Si nous prenons cette déclaration au pied de la lettre, l’ancienne Allemagne n’existe donc plus pour la Prusse. C’est un pays tout entier à reconstituer. La Prusse voulait le reconstituer par l’union restreinte ; mais, à Berlin même et dans le congrès des princes de l’union restreinte, le congrès de Francfort a eu des alliés. Nous avons déjà souvent expliqué comment les princes allemands, inquiets des empiétemens et des efforts de l’esprit démagogique, n’avaient eu d’abord que la Prusse pour les protéger ; aussi s’étaient-ils jetés dans les bras de la Prusse : de là l’union restreinte et l’alliance du 26 mai 1849. Cependant, à mesure que l’Autriche avait recouvré sa force et sa liberté d’action en Allemagne, les princes allemands se sont trouvés avoir deux protecteurs contre la démagogie, et de ces deux protecteurs, le second, l’Autriche, ne leur demandait aucun sacrifice, elle ne leur demandait que de ne point se livrer à la Prusse. Le congrès de Francfort n’a donc pas pu être empêché par le mauvais vouloir de la Prusse, et, sans s’arrêter devant les objections de la note du 3 mai, les plénipotentiaires des états allemands réunis à Francfort se sont constitués le 16 mai en assemblée plénière de la confédération. Ils ne se sont pas expliqués sur la question de savoir s’ils représentaient exactement l’ancienne diète germanique, si cette diète avait été oui ou non abolie. Ils se sont saisis, à titre de représentans de l’Allemagne, du pouvoir qui appartenait à l’ancienne diète. Les assemblées des petits états allemands, et notamment les chambres de Saxe et de Wurtemberg, se sont, il est vrai, approprié les principes de la note prussienne du 3 mai, et ont déclaré, comme cette note, que la diète germanique de 1815 n’existait plus, que 1848 l’avait abolie, et que le congrès de Francfort ne pouvait pas revendiquer les droits de l’ancienne diète. Loin de fortifier la Prusse, cette adhésion des chambres où dominait encore l’esprit de la démagogie germanique l’a affaiblie et discréditée ; elle a paru plus que jamais vouloir être l’héritière de la révolution de 1848, et cela ne l’a rendue que plus suspecte, sans la rendre plus puissante aux yeux des princes allemands. Ah ! si la Prusse voulait être tout-à-fait révolutionnaire, si elle voulait s’adresser uniquement aux peuples, nous ne disons pas, quoique l’Allemagne soit bien lassée et bien énervée, quoique ces grands mots de liberté et d’unité aient beaucoup perdu de leur magie, nous ne disons pas qu’elle ne pût pas ranimer l’enthousiasme populaire ; mais la Prusse ne peut pas et ne veut pas courir cette aventure. Elle est donc dans cette singulière situation, de ne pas vouloir prendre le peuple allemand pour son auditoire, et de tenir aux princes allemands, seul auditoire qu’elle veuille avoir en ce moment, un langage populaire qui leur déplaît et qui les choque.