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— Je vois que vous n’êtes pas des gens polis, toujours ! répliqua la jeune fille aigrement.

Il était évident que cette exagération de mauvaise humeur avait surtout pour but de cacher son trouble et de gagner du temps ; le brigadier parut le comprendre.

— Prenons donc des mitaines à quatre pouces, dit-il ironiquement ; mademoiselle Loubette pourrait-elle nous faire l’honneur de nous dire d’où elle vient dans ce moment ?

— C’est bien malaisé à savoir ! répliqua la paysanne du même ton bourru, j’étais allée porter la pitance au grand berger.

— Elle ne venait pas du côté où nous avons vu le troupeau, dit le gendarme qui était entré avec elle.

— Il y a donc, à cette heure, un chemin commandé ? reprit la Loubette, toujours aussi maussade.

— On ne prend pas le plus long pour son plaisir, objecta Durand.

— Mais on le prend pour son devoir, répliqua la paysanne, et j’avais oublié quelque chose près du grand canal.

— Quoi donc ?

— Vous le voyez bien.

Elle avait tiré de dessous son tablier une petite faucille qu’elle jeta derrière la porte, sur un tas d’herbe fraîchement coupée. Durand et son compagnon se regardèrent : les réponses de la jeune fille étaient si vraisemblables et faites d’un tel accent, que tous deux se trouvaient évidemment embarrassés ; mais le brigadier n’était pas homme à se payer de pareils subterfuges.

— Ma foi, dit-il après un instant de silence, je vois que vous êtes une fine mouche et qu’il n’y a pas moyen de vous prendre au gluau ; vaut mieux alors tout vous dire franchement. Voilà l’histoire, ma fille le grand Guillaume est pincé !

— Vrai ? s’écria la Loubette.

— On l’a rencontré en route, nous avons été avertis, et il n’y a plus moyen de nous échapper.

La paysanne joignit les mains.

— Pauvre gas ! dit-elle ; hélas ! fallait finir comme ça ; c’est un crève-cœur que j’attendais ! mais puisqu’il est arrêté, monsieur Durand, on ne m’empêchera pas de le voir ; c’est-il à Chaulé que vous l’avez emmené ?

Les deux gendarmes échangèrent encore un regard : en prenant au mot le brigadier, la jeune fille l’avait complètement dérouté. Ainsi battu pour la seconde fois dans ses propres embuscades, il se décida à attaquer de front.

— Au diable ! dit-il, vous seriez capable d’en revendre à tous les juges d’instruction du département ; mais c’est assez de charades