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Et ne pouvant retenir un soupir :

— C’est dur, pas moins, ajouta-t-il, que le fils de la maison soit obligé de venir chez son père en se cachant comme un voleur ; mais on doit se soumettre, personne n’a raison contre la volonté du bon Dieu.

Il se leva lentement pour prendre son chapeau et son bâton ; la Loubette coupa à la miche un morceau de pain qu’elle mit en silence dans la poche de sa veste. Je dis alors que je comptais moi-même retourner à Marans sans plus tarder, et j’offris à Guillaume de le prendre dans ma carriole, en lui faisant observer que c’était le moyen le plus prompt et le plus sûr de sortir du Marais ; il accepta avec un remerciement. Pendant ce temps, la Loubette s’était retirée dans l’ombre ; elle se tenait appuyée contre un meuble, et je l’entendais pleurer tout bas. Guillaume, qui la regardait à la dérobée, tournait son chapeau avec embarras ; je compris que je gênais leurs adieux, et je sortis pour atteler le char-à-bancs.

En passant devant l’appentis, j’aperçus Fait-Tout, qui achevait son œuvre funèbre. La peur de l’humidité nocturne l’avait sans doute engagé à un emploi très fréquent du préservatif, car la bouteille d’eau-de-vie, placée devant une des chandelles de résine, me parut presque vide : les traits du coureur avaient pris une expression encore plus joviale que d’habitude. Tout en donnant ses derniers soins au mort, il lui chantonnait une hymne d’église dont le latin me sembla singulièrement revu et corrigé au point de vue du patois vendéen. Trouvant commode et prudent d’éviter, pour le retour, la compagnie du chasseur de vipères, je le laissai à ses occupations. Le cheval fut bientôt mis à la carriole, et je rentrai pour avertir Guillaume.

Sa sœur et lui étaient près du seuil, se tenant par la main. À ma vue, la Loubette jeta ses bras autour du cou du jeune homme et éclata en sanglots. Je m’efforçai de la calmer par quelques paroles d’espérance ; mais le réfractaire garda le silence. Après avoir rendu à la paysanne ses embrassemens, il se dégagea très vite et sortit le premier. Lorsque nous fûmes dans le char-à-bancs, elle lui tendit encore la main ; il ne fit pour ainsi dire que l’effleurer, saisit les rênes, et nous partîmes. La Loubette nous suivit quelques instans en courant ; mais Guillaume pressa le cheval, et elle ne tarda pas à disparaître derrière nous dans l’obscurité. Il respira alors fortement comme soulagé d’un fardeau, et me rendit les rênes. Arrivé à un pli de terrain que nous allions dépasser, il se retourna. Le toit de la cabane apparaissait au loin à travers la nuit. Il ôta son chapeau en signe d’adieu, croisa les bras sur sa poitrine, et nous continuâmes ainsi en silence jusqu’à l’entrée de Chaillé. Là seulement il releva la tête, et appuyant la main sur les rênes :

— Faites excuse, monsieur, dit-il d’un accent qui me parut altéré ;