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jeunesse. Elle se levait à six heures du matin, courait les bois à cheval pendant deux heures, se couchait jusqu’à midi, oubliant les fatigues du corps dans l’exercice paisible de son intelligence ; et lavait son visage à l’eau froide, l’hiver comme l’été, pour maintenir la fraîcheur et la fermeté des chairs. Pour Diane, la beauté n’était pas seulement un don précieux, c’était une science, un travail de chaque jour. Elle mourut à soixante-six ans, admirée, enviée des femmes les plus belles et les plus jeunes.

Je ne voudrais pas dire que Diane eût trouvé le secret de l’eau de Jouvence. Cependant les historiens du XVIe siècle, et en particulier les historiens protestans, n’hésitaient pas à voir, dans cette beauté obstinée que le temps ne pouvait atteindre, une œuvre de sorcellerie. Comment avait-elle trouvé le moyen d’enchaîner à ses pieds un homme qui avait dix-huit ans de moins qu’elle ? Comment, jusqu’à l’âge de soixante ans, fut-elle aimée de Henri Il avec la même ardeur, la même fidélité ? Les historiens protestans, qui professaient pour elle une haine trop facile à expliquer, puisqu’elle poussait son amant à sévir contre les huguenots, l’accusaient d’user de philtres diaboliques pour réveiller l’ardeur de Henri II. Ils cherchaient dans la sorcellerie l’explication de cette inébranlable constance. Satan seul, aux yeux des huguenots, pouvait river à sa chaîne un amant dont la maîtresse aurait pu être la mère.

Aujourd’hui que la sorcellerie est rayée de la liste de nos croyances, nous sommes obligés de chercher ailleurs le mot de cette énigme singulière, et nous le trouvons dans les pages que Brantôme nous a laissées sur Henri II. D’après le témoignage de cet historien, qui certes n’est pas toujours véridique, mais dont la parole acquiert une légitime autorité toutes les fois qu’il ne trouve pas dans la médisance l’occasion de montrer son esprit mordant et venimeux, Diane n’était pas seulement une belle personne, mais bien aussi et surtout une femme d’un esprit délicat, d’une imagination ingénieuse, d’un caractère égal, une nature enfin qui commandait l’amour par un ensemble de qualités rares qui sans doute ne remplaceront jamais la jeunesse, et dont la jeunesse pourtant ne dédaigne jamais impunément le secours. Non-seulement Diane n’oubliait pas un seul instant qu’elle voulait, qu’elle devait être aimée ; non-seulement elle trouvait dans les graces de son esprit de quoi renouveler, de quoi rajeunir les graces de son corps : elle étudiait, elle traitait à sa manière toutes les grandes questions politiques et religieuses qui s’agitaient alors. Que le règne de Henri II, qui devrait s’appeler le règne de Diane de Poitiers, puisque Diane a gouverné pendant treize ans sous le nom de son amant, ait été funeste à la France, je ne veux pas le nier ; l’évidence me condamnerait trop facilement. Que les conseils de Diane aient égaré Henri II., c’est une vérité depuis long-temps acquise à l’histoire et que je ne songe pas à révoquer en doute. Le problème que je discute n’a rien à démêler avec la