Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/299

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

discussion serait stérile. Je reconnais volontiers que Jean Goujon a tenu compte de la tradition en mainte occasion, et voilà précisément pourquoi je m’étonne de trouver dans les têtes de ses caryatides un caractère anecdotique. Je me demande comment un esprit familiarisé comme le sien avec les vraies conditions de la statuaire a pu se méprendre au point de prêter à des figures monumentales une physionomie qui relève de la seule réalité, et n’a rien à démêler avec les transformations que la pensée impose au modèle vivant. Je rends pleine justice au talent que l’auteur a déployé dans l’exécution des têtes, j’admire avec bonheur la simplicité, la puissance qu’il a montrées dans la transcription de la forme, je reconnais dans ces têtes une singulière faculté d’imitation ; mais je ne puis me défendre d’un regret sincère en voyant tant de talent dépensé dans l’imitation réduite à elle-même, tant de puissance, tant d’attention consacrées à la transcription littérale de la réalité. Si la réalité ne suffit pas à la statuaire lorsqu’il s’agit d’un personnage déterminé, consacré par l’histoire ou par la poésie, à plus forte raison ne suffit-elle pas à la statuaire monumentale, dont la grandeur est la première condition. Aussi n’hésite-je pas à dire que Jean Goujon s’est trompé en donnant aux têtes de ses caryatides un caractère anecdotique.

Le torse et les membres de chacune de ces caryatides expriment admirablement la vigueur et la puissance qui appartiennent à ce genre de figures, et, chose remarquable, chose vraiment digne de louange, et qui se rencontre aujourd’hui trop rarement, l’auteur a su concilier la force et l’élégance. Il y a dans le torse et les membres une vigueur toute virile, et pourtant l’inflexion des lignes caractérise très bien le sexe de la figure, et nous montre une femme avec tous les signes de la fécondité. Pour résoudre ce problème difficile, pour exprimer la force unie à l’élégance, pour montrer dans une même figure la puissance de l’homme et la grace de la femme, il faut une science consommée, une merveilleuse intelligence de toutes les conditions de la statuaire, et, ce que l’étude peut développer, mais ne donne pas un génie pénétrant qui devine la limite précise où finit la puissance, où commence la lourdeur des formes. Toutes ces facultés précieuses, Jean Goujon les possédait, et, si les autres œuvres que nous devons à son ciseau ne démontraient pas clairement ce que j’avance, les caryatides de la salle des Cent-Suisses suffiraient à le prouver sans réplique. L’étroite union, l’intime alliance de la force et de la grace, forment à mes yeux le mérite capital de ces belles figures. Avec un art que je ne me lasse pas d’admirer, l’auteur a su enrichir, amplifier les formes féminines pour leur donner l’accent de la puissance, et l’exagération volontaire qu’il a choisie comme l’expression de sa pensée n’ôte rien à la souplesse, à l’élégance que la femme doit toujours garder. De quelque côté, en effet, qu’on se place pour étudier ces caryatides, on trouve toujours et