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avoir parcouru d’un regard attentif toutes les parties de cette délicieuse figure, j’arrive à croire qu’elle vaut mieux encore que l’Hiver, quoique l’Hiver soit plein de vérité. Il est évident pour moi que l’expression du bonheur convenait mieux à Jean Goujon que l’expression de la souffrance, et que la pierre fouillée par son ciseau prenait plus volontiers les traits de la jeunesse que les traits de l’âge mûr. Si les Saisons de l’hôtel Carnavalet ne résument pas le génie entier de Jean Goujon, elles peuvent du moins servir à le caractériser nettement. Le Printemps et l’Automne, sous la forme virile, valent moins que l’Hiver et l’Été sous la figure d’une femme, et l’Été, jeune et riant, vaut mieux que l’Hiver grelottant dans son manteau.

Je ne parle pas des sculptures d’Écouen, par une raison bien simple : c’est que personne jusqu’à présent n’a prouvé d’une façon décisive que Jean Goujon fût l’auteur ou du moins l’auteur unique de ces travaux. Sur la question de paternité, l’opinion des érudits et des gens du métier se partage entre Jean Bullant et Jean Goujon. J’avouerai d’ailleurs, s’il m’est permis d’exprimer mon sentiment dans une question aussi délicate, que les travaux d’Écouen n’offrant pas la même élégance, la même souplesse que les œuvres dont j’ai parlé jusqu’ici, je ne les attribuerais pas volontiers à Jean Goujon. La nature des sujets traités dans le château d’Écouen ne s’accorde pas non plus avec les habitudes païennes qui se révèlent dans tous les ouvrages que j’ai analysés. Les chérubins, les évangélistes, le Père éternel, donnés à Jean Goujon par quelques admirateurs trop empressés, qui tiennent, je ne sais trop pourquoi, à multiplier ses œuvres, comme si ses œuvres authentiques n’étaient pas déjà assez nombreuses, ne ressemblent guère à la fontaine des Nymphes, aux caryatides, aux Saisons de l’hôtel Carnavalet. La déposition, ou, pour parler plus exactement, l’ensevelissement du Christ soulèvent la même objection. Enfin, l’escalier de Henri II donné à Jean Goujon et à Paul Ponce, n’éveille pas en moi des doutes moins sérieux. Il y a dans cet escalier une Diane debout, dont le vêtement, agité par un vent capricieux, semble plus digne du cavalier Bernin que de Jean Goujon. Les seules figures de cet escalier qui me semblent pouvoir appartenir à Jean Goujon sont les satyres et les faunes. Il n’est pas sans intérêt de remarquer que l’auteur de ces figures, à l’exemple des peintres de l’antiquité qui avaient ajouté aux centaures des centauresses, n’a pas craint d’ajouter aux satyres consacrés par la tradition des satyres du sexe féminin, et je dois dire qu’il s’est très habilement tiré de cette tâche singulière.

Il me reste à parler des œils de bœuf de la cour du Louvre, qui appartiennent d’une façon irrécusable à Jean Goujon. Ces œils de bœuf sont au nombre de cinq, deux qui terminent la façade du nord, et trois qui commencent la façade de l’est, c’est-à-dire celle où se trouve le