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Si l’Angleterre, au lieu de dépenser en guerre, par-delà son budget militaire des temps de paix, la somme de plus de 20 milliards, de 1792 à 1815, l’avait gardée pour en faire du capital, elle n’aurait pas à se contenter d’être en ce moment la moins pauvre des nations de l’Europe, elle jouirait d’une prospérité fabuleuse. Que ne rendraient pas aujourd’hui, par le labeur de cette nation intelligente et active, ces 20 milliards grossis des intérêts accumulés pendant cinquante-cinq ans pour les premières dépenses, pendant trente-cinq pour les dernières ?

Pour soutenir la lutte contre toute l’Europe, la révolution française adopta sous la république et renforça sous l’empire un système de recrutement des armées contre lequel, en temps de paix au moins, les amis de la liberté doivent protester. Avant 1789, l’impôt du sang n’était obligatoire que pour la noblesse ; c’était une compensation qu’elle ne manquait pas de faire valoir quand de libres penseurs lui contestaient ses privilèges[1]. En dehors de la noblesse, qui avait les grades, la masse de l’armée était formée de recrues qui s’étaient volontairement engagées. L’ouvrier qui avait fait son apprentissage, le jeune cultivateur qui assistait utilement son père, restaient, celui-ci à son métier, celui-là à sa charrue[2]. Par la conscription[3], tout homme[4] fut enrôlé ou put l’être bon gré mal gré. L’homme industrieux fut enlevé

  1. Voici ce qu’on lit dans les Réflexions sur le Traité de la Dîme royale, ouvrage de 1716 : « De combien les roturiers ne jouissent-ils pas d’avantages dont les gentilshommes sont privés ! Les roturiers ne sont aucunement dans l’obligation de servir dans les armées. Les gentilshommes, qui y sont engagés par honneur et par leur naissance, n’ont que des occasions de se ruiner dans le service. »
  2. La population des campagnes fut rendue passible d’un appel forcé, mais en temps de guerre seulement, par l’ordonnance du 27 février 1726. L’appel pouvait aller jusqu’à 100 bataillons de 12 compagnies de cinquante hommes, soit 60,000 hommes. C’est ce qu’on nommait la milice. La population urbaine resta exempte de ce recrutement.
    Louis XIV avait déjà, en 1688, levé des milices. On rassembla 25,000 hommes, qui furent partagés en trente régimens. Tous les célibataires du tiers-état de vingt à quarante ans durent concourir. C’étaient les communes ou paroisses qui avaient à fournir les hommes ; mais elles les levèrent avec de l’argent. L’organisation alla si mal et donna lieu à tant d’abus, qu’en 1708 Louis XIV finit par accorder aux paroisses et communes la faculté de se racheter du service personnel moyennant une somme fixe pour chaque soldat qu’elles auraient dû faire marcher. On trouve de curieux détails là-dessus dans une Province sous Louis XIV, de M. Alexandre Thomas, section III, chap. I, § 3.
  3. La conscription fut instituée par la loi du 19 brumaire an VI. La révolution y avait préludé par la réquisition, qui est du 24 février 1793 : la date est bonne à remarquer. La première réquisition fut de 300,000 hommes. Je renvoie sur ce sujet à une publication récente de M. Redon de Beaupréau, Quelques Mots sur les Institutions et l’esprit militaires, pages 6 et suivantes.
  4. Dans l’état actuel des choses, en temps de paix, il y a des départemens, au nombre desquels nous citerons la Lozère et la Dordogne, où tous les ans on remarque plusieurs cantons dont tous les hommes valides sont pris pour le service, et qui même ne peuvent fournir en entier le contingent fixé par la loi. On sait que le contingent est réparti entre les cantons. M. de Bondy a publié sur ce sujet un écrit qui abonde en renseignemens.