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nous pouvions être certains dès-lors de la voir, à un moment donné, naître et grandir dans nos basiliques, sous la main et à la voix du sacerdoce. En effet, il en a été ainsi, mais avec des circonstances tout-à-fait particulières et qui demandent quelques instans d’examen.

La nécessité du secret et l’opposition systématique à la matérialité païenne portèrent les premiers chrétiens à ne figurer les objets de leur culte que sous le voile d’images symboliques. Lorsque le christianisme sortit des catacombes, pour prendre la direction du monde, il resta plus d’un siècle encore fidèle à ces erremens. Ce ne fut qu’un peu plus tard qu’on se hasarda à remplacer les allégories par quelques représentations réelles, et à peine cette voie eut-elle été ouverte aux arts d’imitation, qu’il se forma au sein de l’église deux grandes écoles, qui n’ont pas cessé de rester profondément divisées sur le plus ou moins d’influence qu’il convient d’accorder aux beaux-arts dans la célébration des rites : les uns soutenant, comme Arnobe, Tertullien, Origène, Agobard, les premiers abbés de Cîteaux, saint Bernard, etc., qu’il est plus conforme à la spiritualité du dogme évangélique de n’admettre qu’avec une extrême réserve dans les liturgies la peinture, la sculpture et la musique ; les autres, comme saint Ambroise, saint Jean Damascène, saint Grégoire-le-Grand et enfin saint Thomas, dont l’opinion a prévalu à peu près sans partage jusqu’à la réformation de Luther, pensant qu’il est légitime et louable d’employer tout ce que Dieu a mis de puissance dans quelques génies privilégiés pour élever la faible intelligence du vulgaire à la connaissance en quelque sorte intuitive et palpable des vérités éternelles. On ne s’attend pas à trouver dans ces pages frivoles l’histoire, même en raccourci, de cette longue lutte : il me suffira d’indiquer ici qu’à la fin du VIIe siècle un concile rejeté, mais valable en ce qui touche les images[1], hâta la révolution qui commençait à poindre dans l’art, en ordonnant de substituer les représentations réelles aux allégories et aux ombres, dont on s’était contenté jusque-là. « On devra dorénavant, dit le quatre-vingt-deuxième canon, représenter Jésus-Christ, non plus sous la figure symbolique de l’agneau ou du bon pasteur, mais sous ses traits humains. » La croix, dont la vue n’avait été offerte aux premiers fidèles que comme un symbole de rédemption et d’espérance, presque toujours ornée de fleurs, de couronnes et de pierreries, la croix, qui n’avait reçu qu’au milieu du IVe siècle la figure du Christ peinte seulement en buste, et un peu plus tard son effigie entière (vêtue d’abord, puis nue, comme sur le crucifix de Narbonne[2] que l’évêque de cette ville tenait couvert d’un rideau), la croix, dis-je, après le concile de 692, reçut l’image du Sauveur en relief. Ce n’est qu’à la fin du VIIIe siècle, sous le pontificat de Léon III,

  1. Concil. quinisext., in Trullo, ann. 692, can. 82.
  2. Voyez Gregor. Turonens., De gloria Martyr., lib. I, cap. 23.