Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/476

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui le dévoraient. C’était dans les tavernes, en face des pots de bière et au milieu de flots de fumée, que le puissant causeur troublait et subjuguait son auditoire ; on cite aussi des lectures publiques qui eurent alors un singulier éclat : sentant bien qu’il n’était qu’un poète de second ordre, et dévoué cependant à la poésie, Schubart voulut du moins être le rapsode des maîtres ; il lisait, cet épicurien sensuel, il lisait le chaste Klopstock avec une merveilleuse magie ; à l’aide des mystiques peintures de la Messiade, il gouvernait les ames à son gré, il les entraînait dans sa sphère, leur communiquant tour à tour les émotions dont il était rempli, le trouble, l’effroi, l’admiration, l’extase. Il est facile de deviner ce que devait être le journal de Schubart. L’intempérance de sa verve lui attira bientôt d’odieuses persécutions. Si l’on n’a jamais su d’une manière exacte les motifs de son emprisonnement, il est vraisemblable que les hardiesses du publiciste en furent au moins le prétexte dans un siècle et sous des gouvernemens où nulle garantie ne protégeait le droit. Arrêté et incarcéré sans jugement, Schubart passa dix ans dans la forteresse d’Asperg. L’épreuve lui fut rude. Ces natures emportées, dont toute la force réside dans le sang, ne résistent guère aux coups du malheur ; on vit trop clairement alors, tout ce qui faisait défaut au caractère et à la moralité de Schubart Son ardeur fut abattue ; le découragement le plus profond s’empara de lui ; enfin, après qu’un puéril désespoir eut long-temps abaissé sa dignité d’homme et de publiciste, il se réfugia dans une religion exaltée, fébrile, convulsive, qui fit place, peu de temps après, à toutes les revanches furieuses du voluptueux. Schubart ne sortit de prison qu’en 1787. Il reprit son journal, et fut l’un des premiers, deux ans plus tard, à saluer les débuts de la révolution française. Il avait toujours eu une antipathie déclarée pour la France, il avait combattu ardemment son influence littéraire ; tout cela fut oublié en un instant, le sublime élan de 89 lui fit apercevoir des trésors chez ce peuple qu’il croyait condamné à une décadence irrémédiable, et il exprima son enthousiasme en de nobles termes. L’humanité n’a pas vieilli, s’écrie le journaliste allemand, puisqu’une nation qui semblait ne plus posséder que le génie des petites choses donne de pareils témoignages de sa force et de sa grandeur. Puis il détourne les puissances du Nord de leurs projets de contre-révolution, et il leur prédit d’effroyables désastres, si elles osent passer le Rhin. C’est une voix de plus enfin qui se joint à ce concert de voix illustres saluant du fond de l’Allemagne les grands jours de 89 ; tous les nobles esprits qu’il admirait à cœur ouvert, les philosophes et les poètes, Kant et Klopstock, Schiller et Fichte, tenaient alors le même langage. Seulement, ce qui donne un caractère particulier à l’enthousiasme de Schubart, c’est un mélange fort inattendu d’idées mystiques et de sentimens libéraux. Son étrange exaltation religieuse