Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/570

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nouveau régime ? Nous entendons toujours parler de la société nouvelle qui grandit, et de ses idées et de ses doctrines ; mais où sont donc ces idées et ces doctrines ? Écoutez M. Proudhon : — Friperie de 93 ou rogatons des théories creuses de M. Louis Blanc, voilà les idées et les doctrines de ces prétendus princes de la jeunesse ! — Ne confondez pas la société qui fermente et qui envie avec la société qui grandit. La fermentation n’est pas la croissance, l’envie n’est pas la force. Triste accord des défauts de deux âges opposés que de n’avoir que de vieilles idées, de vieilles phrases, et d’avoir en même temps la présomption et l’ignorance de la jeunesse ! L’effervescence dans la routine, n’est-ce pas la pire nature d’esprit ? Ne parlez donc plus des vieux de l’ancien régime, ô vous dont le régime a été court et n’a jamais été jeune, vous qui avez passé, dans les trois mois du gouvernement provisoire, de la naissance à la décrépitude ! Vous êtes vieux comme 93, vous êtes avortés comme 1848, vous n’êtes pas jeunes !

Si nous attirons l’attention du public sur les divisions du parti montagnard, c’est qu’avant de faire la confession du parti modéré, nous pensons qu’il est bon d’examiner quel est l’état de nos adversaires. Notre maladie, en effet, se compose de deux choses : notre faiblesse d’une part et la force de nos ennemis de l’autre, — ce que nous ne pouvons pas pour nous, ce qu’ils peuvent contre nous. Or jamais mes adversaires n’ont été moins forts contre nous qu’en ce moment, jamais ils n’ont été plus divisés et plus démoralisés. Parmi les chefs, les uns sont livrés aux impatiences et aux colères de l’exil, les autres aux douceurs d’une opposition bien rentée. Parmi les hommes que la science et les traditions de l’École polytechnique avaient un instant cédés à la politique de 1848, le plus grand nombre est retourné aux grands travaux de l’industrie ou aux spéculations de la science. Les ouvriers, désappointés et désabusés, ne se défient de personne autant que de leurs anciens apôtres ; ils ont repris l’habitude du travail quotidien, avec un peu de tristesse peut-être, mais avec une tristesse qui est prête à se tourner en colère contre ceux qui les ont trompés. Les plus ardens à la politique et les plus paresseux au travail, deux choses qui se rencontrent ordinairement ensemble, s’embarquent pour la Californie. Des gens bien informés nous disent que le nombre est grand des enthousiastes subalternes de 1848 qui partent pour l’Eldorado moderne. La Californie est une terre faite exprès pour notre temps. Là tout est aventure et loterie, là on s’enrichit ou on meurt vite. C’est ce qu’il faut à notre siècle, qui aime mieux, si nous pouvons parler ainsi, la jouissance que la vie. Il ne s’agit plus aujourd’hui, comme au XVIe siècle, de puritains fanatiques et hardis, qui, ne pouvant pas professer librement leur culte en Angleterre, s’en allaient en Amérique chercher la liberté de la foi qu’ils ne trouvaient pas en Europe. Ceux-là ne demandaient pas à la terre où ils abordaient de l’or et de l’argent, de promptes richesses et de rapides jouissances ils demandaient à la terre de quoi vivre ; la foi leur donnait le reste, et remplissait ces ames ardentes et fortes. Nos aventuriers de la Californie ne sont pas du même genre ; mais la Californie aussi a autre chose à leur donner que la solitude pour y prier Dieu, et un sol fertile pour y semer le blé. Elle donne de l’or, et c’est ce qu’il faut à ces imaginations ardentes et pourtant frivoles, comme celles qu’enfantent les vieilles sociétés, ces hommes qui ont cherché la fortune et la jouissance dans les révolutions ; qui ne les y ont pas trouvées, parce que les révolutions appauvrissent tout le