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couraient sur le visage et sur les mains. On ne pouvait passer plus brusquement de l’extrême élégance à l’extrême misère.

Le lendemain, nous marchâmes jusqu’à Cilly, par une chaleur étouffante et à travers d’épais tourbillons de poussière soulevés par nos chevaux. Avant d’entrer dans la ville, le colonel nous réunit autour de lui dans une grande prairie ; il allait quitter le régiment où il avait servi pendant trente ans : c’était un homme d’un noble caractère, et pourtant il était peu aimé ; mais, lorsque nous le vîmes, après nous avoir dit quelques mots d’adieu, baisser son casque et détourner la tête pour nous cacher ses larmes, tous se sentirent émus, voulurent serrer cette main loyale qu’il nous tendait, et, quand son cheval l’emporta loin de nous, nous lui criâmes un triste et, dernier adieu.

Le 20 août, nous étions à Adelsberg. Près de cette ville est une grotte fameuse que nous allâmes visiter. À peine entré dans la grotte, on franchit, sur un pont formé par la nature ; une rivière souterraine dont les eaux se sont creusé un lit à travers le rocher, et reparaissent à trois lieues de là, au bas de la descente de Planina. Le murmure de cette rivière souterraine est répété au loin par l’écho de voûtes immenses. Pendant deux heures, on marche sous des masses énormes de stalactites qui tantôt viennent menacer votre tête de leurs pointes aiguës, tantôt sont suspendues à de grandes hauteurs et semblent prêtes à se détacher des voûtes. On arrive ainsi à une seconde grotte qui porte le nom de l’archiduc Jean, et qu’on ne peut visiter que muni d’une autorisation spéciale. Ici d’admirables stalactites d’une blancheur éclatante pendent des voûtes ou s’élèvent de terre : les unes sont près de se toucher, et la svelte colonne est déjà presque toute formée ; les autres laissent à l’imagination le loisir de calculer combien encore il leur faudra d’années pour franchir goutte à goutte l’espace qui les sépare. Rien de plus élégant que ces blanches et frêles colonnades, ouvrage de tant de siècles, et que le moindre choc suffirait à détruire.

C’est à Vippach, au-delà d’une chaîne de hautes montagnes volcaniques, que commence l’Italie ; les jardins du comte Lantieri étaient pleins de grenadiers, de lauriers en fleurs, de grands buissons de verveine. Le 22 août, nous arrivâmes à Gôrz[1] ; je montai au couvent des Franciscains : l’on a, de la terrasse devant l’église, une vue admirable sur les plaines de l’Italie, au milieu desquelles l’Isonzo roule ses belles eaux bleues ; l’on me montra les tombes de Charles X et du duc d’Angoulême : ce sont deux pierres toutes simples, posées devant l’autel d’une des chapelles latérales ; elles portent de courtes inscriptions françaises. Sur celle du duc d’Angoulême, il y a les mots latins : Tribulationem inveni et nomen Domini invocavi. J’étais là avec quelques officiers de

  1. Guritze.