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vérité, mais non dans ce qu’elle a de radicalement hostile et agressif. Ce qu’il détestait ; c’était l’esprit d’opposition en lui-même, c’est-à-dire systématique, dans les idées comme dans les faits. La répulsion pour tout ce qui semblait inspiré de cet esprit n’était pas seulement la fantaisie ombrageuse d’un despotisme étroit ; c’était l’instinct de l’homme d’état, de l’organisateur, du réparateur d’une société ; et qui oserait affirmer que cet instinct ne fût point profond et juste ? qui oserait dire aujourd’hui que la vérité sociale et politique ne fût du côté de l’auteur du concordat et du code civil ? Je ne doute point que l’avenir ne confirme ce jugement et ne laisse chacun à sa vraie place, Napoléon au rang des génies qui ont eu le plus le sentiment des conditions nécessaire ; à la durée de la société française, et Mme de Staël au rang de ces grands esprits littéraires qui ont leur empire naturel sur les imaginations et sur les cœurs, mais dont il ne faut point agrandir avec effort- le rôle, selon une juste expression de M. Villemain, sous peine de trop faire de l’éloge académique.

Que l’Académie ait à donner un prix d’éloquence, il ne lui est pas trop difficile, sans doute, de fixer son choix, le sujet étant donné ; mais je tiens que le généreux et honnête M, de Monthyon l’a placée dans le plus cruel des embarras en la chargeant de couronner les ouvrages les plus utiles aux mœurs. Veut-on savoir quels travaux l’Académie a choisis comme remplissant le but du fondateur ? C’est la Philosophie spiritualiste de la nature, la Psychologie d’Aristote, la Morale sociale, et à côté les Soirées des Jeunes Personnes, Liberté, Égalité, Fraternité, — les Anges de la Famille, — Paul Morin : assemblage assez singulier on en conviendra, si on se souvient de l’objet du concours. Quant aux premiers de ces ouvrages, travaux remarquables de critique philosophique, ils peuvent mériter toute espèce de distinction : l’un d’eux, la Morale sociale de M. Garnier ; fruit d’un talent consciencieux, se rapprocherait plus sensiblement du but ; mais, en somme, que trouverez-vous de particulièrement utile aux mœurs dans l’étude abstraite de problèmes sous lesquels ont plié et plient encore les plus grandes intelligences ? Quant aux derniers de ces écrits, ce qu’on en peut dire de plus significatif, je pense, c’est qu’ils forment le lot habituel des femmes de lettres dans les concours de l’Académie française. La perplexité de l’Académie est grande sans doute, je le répète, quand il faut qu’elle choisisse des œuvres allant droit au but du fondateur. Est-ce pourtant une raison pour n’y point songer et pour imaginer avoir satisfait à tout en couronnant des thèses universitaires ou quelques honnêtes puérilités ? Ne serait-ce point à l’Académie, investie de la mission d’encourager de tels travaux, à seconder les esprits dans la création de cette littérature populaire qui manque à la France, à les diriger vers ce but, à leur signaler l’intérêt d’œuvres destinées à populariser sous une forme saisissante et familière les vérités morales, les notions impérissables de devoir et de justice sociale ? -Peu de chose suffit pour propager le mal, parce que les passions mauvaises de l’homme, toujours en éveil, comprennent au moindre signe, et se laissent aller à la moindre suggestion qui les flatte ; il n’en est pas de même des notions du bien, et du devoir qui imposent toujours des sacrifices, et dont on ne peut faire goûter le charme et maintenir l’empire qu’en les rendant sans cesse accessibles aux ames dans leur noblesse comme dans leur douceur. Le malheur est que des ouvrages destinés à populariser ces notions