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telles productions, est-il dit ; ne frappent pas, il est vrai, aussi fortement que les véhémentes effusions de nos trouveurs modernes ; mais elle sont faites, nous le pensons, pour causer un plaisir plus profond et pour éveiller, avec une puissance plus durable, ces veines d’émotions dans lesquelles consiste le charme de la poésie. » Sans prétendre en rien rabaisser le mérite de Gertrude, qui est grand, je crois que nous touchons là une des causes secrètes de la popularité de Campbell. Sa position rappelle assez celle de notre Casimir Delavigne. Son succès tint surtout à ce qu’il n’avait pas été trop loin, à ce qu’il n’avait pas trop choqué les idées qui, bien qu’elles s’en allassent, n’étaient pas encore tout-à-fait parties. S’il fut aimé parce qu’il avait le don de charmer, il le fut aussi un peu parce qu’il pouvait servir d’arme pour venger et satisfaire certaines rancunes, certains dépits, comme il s’en mêle toujours à la surprise que nous cause ce qui est trop inattendu. Les novateurs de l’époque avaient bien des exagérations de jeunesse, ils possédaient aussi bien des qualités qui avaient le grave tort d’être des combinaisons jusque-là inouies, contraires à tout ce que l’on avait vu et même soupçonné comme possible. Devant de telles nouveautés, la vanité est souvent blessée, elle reçoit en quelque sorte un démenti, et pour ne pas s’avouer une supériorité chez autrui, elle aime à pouvoir opposer aux novateurs un talent moins insolite, un type de perfection qui ne présente pas les étrangetés qui l’offusquent chez eux, et qui d’ailleurs n’a rien des vieilleries qu’eux-mêmes reprochent au passé. Ces deux mérites se rencontraient au plus haut point chez l’auteur de Gertrude. Il n’avait plus la froideur cérémonieuse et le ton guindé de l’ancienne école, il n’avait pas davantage ce qu’on nommait le prosaïsme des lakistes. Il était naturel et pourtant fleuri ; il avait de la couleur sans tomber dans cette minutie qui faisait ressembler parfois les tableaux romantiques à un catalogue ou à un étalage de vieilles garde-robes. Éclectique dans tous les sens, il était enfin à la fois de l’école intime et de l’école historique.

Ce n’est que justice d’ajouter qu’il avait d ailleurs son originalité à lui. J’ai tâché de la montrer, en germe dans les Plaisirs de l’Espérance. Dans Gertrude, l’aurore était devenue grand jour. Toutes les pages du poème étaient pleines de douces émotions et de tendres sensibilités qui n’avaient jamais jusque-là trouvé une expression aussi mélodieuse et aussi harmonieuse. Le récit entraînait, il émouvait, il mettait dans un état d’ame où il ne laissait presque rien à désirer. Il a encore conservé tous ces privilèges. Il charme, on peut préférer un autre genre de poésie, mais dans son genre il est bien près d’être parfait. On ne peut guère lui reprocher que de légers défauts, qui sont du reste fort bien précisés dans une lettre de Francis Jeffrey, à qui je cède la parole.

« J’ai vu votre Gertrude, écrit-il à Campbell ; elle renferme de grandes