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accablés de tant de dettes criardes, qu’en y songeant leurs scrupules s’affaiblissaient beaucoup. Le soir même, Zéfire s’oublia et resta jusqu’à la nuit close ; Loiseau la trouva encore en rentrant, elle le pria de la reconduire. — Moi ? dit-il, reconduire… — Sans cela on m’arrêterait. — Allons, dit Loiseau, je vais me faire une belle réputation dans le quartier ! — Quant à Zéfire, elle trouvait sa position fort simple. Sa mère lui avait dit que les femmes se divisaient en deux classes toutes deux utiles à leur manière, toutes deux honnêtes relativement ; elle appartenait à la seconde classe, n’étant pas née dans la première, voilà tout.

Le lendemain était un dimanche ; elle resta avec les deux amis et leur dit : — J’ai tout appris à ma mère ; elle me permet de venir toute la journée. Elle approuve mes sentimens ; elle aime mieux me voir fréquenter un bon ouvrier qu’un sergent qui me battrait, ou qu’un joueur qui ferait pis encore. Elle est très bonne, ma mère… — Loiseau gardait le silence en fronçant le sourcil ; Nicolas, qui reprenait des forces, se leva tout à coup avec son ancienne exaltation et revêtit son unique habit. — Allons chez sa mère, dit-il à Loiseau. — Recouche-toi, répondit ce dernier… — Non ! aussi bien, je mourrais à me tordre de désespoir sur ce lit. Ceci est une crise qui me sauve !… Il ne faut pas que cette jeune fille retourne ce soir dans cette maison… Mon mal a changé de caractère ; je n’ai plus d’oppression, j’ai la fièvre et la rage toutes les nuits, à partir de l’heure où elle nous quitte : comprends-tu pourquoi ?

Loiseau essaya en vain des représentations ; Nicolas n’écoutait rien dans ses momens d’enthousiasme. Ils se rendirent rue Saint Honoré, chez la mère, qui se nommait Perci. C’était une ancienne revendeuse à la toilette et prêteuse sur gages, chez laquelle il s’était donné des rendez-vous galans et de grandes dames qui avaient été surpris par la police ; on l’avait condamnée à une forte amende moins pour le délit même que pour n’avoir point payé les redevances d’usage à la police : depuis ce temps, elle avait pris patente ; afin d’être tranquille. Interrogée par Nicolas et Loiseau, elle jura que sa fille était jusqu’ici demeurée honnête, mais qu’on n’attendait que l’âge convenable pour la lancer dans le monde avec l’autorisation du lieutenant de police. Les deux ouvriers frémissaient de ces détails, que la Perci énumérait avec la plus grande complaisance. Loiseau ne put s’empêcher de marquer son indignation. — Que voulez vous que je fasse ? dit alors la mère, ne suis-je pas notée ? Qui l’épouserait ?… D’ailleurs, élevée comme elle est, jolie, avec des talens, se résignera-t-elle à gagner quelques sous par jour dans la couture, ou à faire de rudes travaux, à devenir servante ? Qui voudrait d’elle ?… et dans tous les cas serait-elle moins perdue ? Nous connaissons l’histoire des jolies filles dans le peuple…