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paroles de liberté sur les lèvres, nourrit au fond de son cœur une haine implacable contre les institutions de l’esprit nouveau, qui réserve ses prédilections dans le passé aux plus atroces tyrannies, — dans le présent aux plus puériles superstitions, qui se flatte enfin, dans son aveugle insolence, de faire rétrograder la philosophie et la liberté. Nous n’avons aucun espoir ni aucun désir, s’il faut l’avouer, de nous entendre avec ce christianisme bâtard enfanté par la haine et nourri par la peur. Grace à Dieu, il y a un autre christianisme : c’est celui qui voit dans les conquêtes de la liberté, moderne l’application la plus vraie des maximes de l’Évangile, celui qui accepte la raison humaine comme une puissance légitime, divine par son origine, bienfaisante en son providentiel développement, celui enfin qui, aspirant avant toute chose à régler et à pacifier les ames, domine les agitations de la politique du haut des principes éternels. Qu’y a-t il, je le demande, dans cette religion amie de la lumière et de la paix, dont la philosophie et l’amour le plus ardent du progrès se puissent alarmer ? Le but que nous poursuivons, chrétiens ou philosophes, n’est-il- pas le même, si les moyens d’y atteindre sont différens ? Voulons-nous autre chose qu’arracher les ames aux passions brutales et à l’égoïsme ; pour donner aux individualités qui s’isolent ou se heurtent une règle par le devoir, un lien par la charité, un commun objet d’adoration et d’espérance par le sentiment religieux ? Au moment où la société européenne chancelle sur ses bases, au moment où les plus fermes esprits, en présence des dérèglemens de la raison humaine, des extravagances de l’imagination, du déchaînement des basses convoitises, en sont venus à douter de ces principes de liberté et de justice inspirés aux ames par l’esprit chrétien et gravés par la révolution française dans les institutions et les lois, est-ce aux hommes qui professent sous des formes diverses le culte de l’idéal de songer puérilement à leurs dissidences ? Au nom du ciel, laissons là nos vieilles querelles, mettons sous nos pieds nos défiances et nos ombrages. Ardens amis du progrès des institutions sociales, interprètes éclairés et pacifiques du christianisme, partisans d’une philosophie généreuse, unissons-nous dans une commune pensée. Pendant que d’autres parlent de réhabiliter la chair, réhabilitons l’esprit ; au nom de Platon et de Descartes, comme au nom de l’Évangile, ranimons dans les ames la religion qui s’en va.


EMILE SAISSET.