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sur les bancs au moment où la barque s’y engagea. Nous passions du jour à une obscurité subtile qui ne nous permit d’abord de rien voir ; mais cette nuit, sembla s’éclairer insensiblement : une clarté bleuâtre pénétrait par l’entrée, glissait le long des parois et allait s’arrêter au fond, sur une petite grève de sage fin. Lorsque l’œil, habitué à cette ombreuse lueur, put saisir l’ensemble, je me levai involontairement avec un cri d’admiration. La voûte de la grotte se dressait à quarante pieds au-dessus de nos têtes, revêtue d’une sorte de vitrification qui se prolongeait des deux côtés jusqu’aux flots. De longues veines d’un rouge sombré et d’un vert pâle qui marbraient cette immense nef lui donnaient je ne sais quelle somptuosité sauvage ; on eût dit le palais d’une des divinités de notre orageux océan. Au milieu se dressait un rocher de granit rose poli par la vague ; l’onde ; abritée ; frissonnait à ses pieds, à peine ridée par le souffle du dehors.

Notre barque, qui obéissait là au moindre mouvement de l’aviron, en fit le tour, et nous arrivâmes au fond de la grotte : elle était terminée par la petite grève que j’avais déjà aperçue et par deux couloirs obscurs qui se perdaient sous la montagne. À chaque oscillation du flux ; on entendait la vague s’y plonger avec un gémissement sonore. Je demandai à Salaün où conduisaient ces routes mystérieuses.

— C’est ce que pourrait dire la pennérèz de Rozan, répliqua le gabarier ; monsieur doit avoir entendu les fileuses chanter son histoire.

Ce nom fut, pour ma mémoire, tout un réveil je me rappelai le vieux guerz de Génoffa, dont le drame se dénouait en effet au lieu même où nous nous trouvions arrêtés. — Génoffa habitait, dit le poète breton, le château puissant[1], à l’embouchure de la rivière de Laber. Elle était fille d’un seigneur qui l’avait vue naître et grandir comme la ronce des haies, sans y prendre garde. L’enfant était restée païenne, car aucun prêtre n’avait traversé la rivière depuis que la tour jetait son ombre sur les eaux, et l’île appartenait au démon, le signe saint n’ayant jamais été tracé sur la terre, ni sur les hommes. Génoffa vivait là sans autre dieu que son désir. Montée sur une vacbe blanche dont les cornes étaient dorées, elle courait à travers les joncs du rivage, le long des landes en fleurs, sur les coteaux alors couverts de chênes, et saisissait les oiseaux au vol dans un filet de soie. Un jour qu’elle allait traverser le carrefour d’un taillis, elle vit venir derrière elle un cavalier qui montait un taureau noir aux cornes argentées. Génoffa se sentit un frémissement dans sa chair, et, sans y penser, elle ralentit le pas de sa monture. Alors l’étranger s’approcha et se mit à lui parler avec tant de douceur, que la jeune païenne se sentit transportée dans le monde des fées.

  1. On trouve encore dans rite de Rozan les ruines du vieux château de Mur ou de Meur, mot qui, en celtique, signifie beaucoup, et exprime l’idée de puissance, comme le prouve le surnom donné au Grallon appelé dans nos ballades Grallon-Mur.