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mais si demain une balle m’atteignait dans la poitrine, alors que j’ai tout simplement une compagnie sous mes ordres, je ne mourrais pas, je vous jure, en regrettant la gloire d’un maréchal de France, et s’il plaît aux chefs quelconques de notre mobile gouvernement de me laisser devenir, comme tant de braves gens beaucoup moins sots qu’on ne le pense, un capitaine en cheveux blancs, je n’accuserai pas ma destinée. Je consacrerai avec bonheur à mon troupeau, pour parler comme un illustre prélat, les restes d’une ardeur prête à s’éteindre. Non, la soif des dignités ne m’altère pas, et pourtant je prie ; je demande à Dieu de rester un honnête homme et un brave soldat. Je crois à la grace.

« Je sais ce qu’il faut faire, dit Jean-Jacques, ma conscience me le dit. » Savoir, c’est bien, mais ce n’est pas assez ; c’est de pouvoir qu’il s’agit. Si je commandais par hasard ; j’en serais du reste fort marri, un peloton de philosophes, et si je me trouvais avec cette troupe en face d’un mamelon occupé par une batterie russe, mes philosophes sauraient fort bien qu’il y aurait une chose à faire, marcher sur la batterie et l’enlever ; mais le feraient-ils ? C’est là ce dont je doute. À chaque instant, nous apercevons un but vers lequel nous savons qu’il faut marcher ; mais la force nous manque pour l’atteindre : c’est à Dieu que nous demandons cette force. Et puis il y a dans la prière un charme infini. Ainsi, quoique assurément l’Afrique soit une magnifique contrée, et qu’un zouave ne soit pas Gros-Pierre atteint de la nostalgie dès qu’il ne voit plus le coq de son clocher, je ne vous cacherai pas docteur, que par momens je ressens le mal du pays. Au milieu de ces cactus, de ces aloès ; de ces lauriers-roses, je regrette la haie rachitique et le pommier rabougri. Eh bien ! ne pensez-vous pas qu’il m’est doux, quand au milieu d’une étape le regret de la patrie absente me prend trop vivement le cœur, de me dire qu’après tout j’ai au-dessus de moi une patrie qui accompagne chacun de mes pas ? Pour que le ciel nous soit vraiment une patrie, il faut que notre amour y aille chercher un Dieu qui ne soit pas isolé de nous.

J ai besoin d’un Dieu qui nous aime ; or, quel Dieu peut plus nous aimer que celui qui nous a donné son fils…

Ici le docteur interrompit Plenho. — Voici, par exemple, s’écria-t-il, ce que je ne puis pas laisser passer. Je ne demande pas mieux que de voir dans Jésus-Christ un législateur, un homme fort avancé pour le siècle dans lequel il a vécu ; mais un dieu, allons donc, mon cher Plenho, et la Vierge…

Je veux vous arrêter, dit Plenho, avant que vous ayez contristé ce beau ciel, et que l’ange qui laissa tomber une larme sur le jurement de mon oncle Tobie ait enregistré un blasphème de plus. Je crois en la divinité de Jésus-Christ, et j’y crois en me fondant sur l’Évangile. Tenez, docteur, je vais vous confier ce qui peut-être a