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mûre pour une crise révolutionnaire épouvantable, sans exemple dans l’histoire, et qu’aucune prudence humaine ne peut éviter ? »

Un juge impartial pourrait conclure de ces réclamations que M. Ledru-Rollin a emprunté tout ce qu’il dit de l’état social de l’Angleterre et qu’il l’a dénaturé. Il n’y a dans son livre que la mise en scène qui lui appartienne, et cette mise en scène, le Chronicle semble la qualifier de falsification. Quant au tableau que l’écrivain radical trace des institutions et de la politique anglaises, si l’on restitue à MM. Rey et Cottu les chapitres qu’ils ont fournis, aux livres noirs leurs documens suspects et leurs exagérations, il ne restera plus guère au compte de M. Ledru-Rollin que les erreurs dont il a enrichi ses emprunts. C’est encore une assez grosse part, si l’on en doit croire le propre traducteur de M. Ledru-Rollin, qui a mis en tête de sa traduction la petite préface que voici :

« Nous devons faire observer une fois pour toutes qu’il n’entre pas dans notre pensée de relever ou même d’indiquer les erreurs et les méprises de l’auteur ; elles se présentent presque à chaque page ; il vaut mieux les laisser parler d’elles-mêmes, elles éclateront assez aux yeux de tout lecteur d’une intelligence vulgaire, et aucun commentaire ne les ferait ressortir davantage. »

Cette sentence si sévère n’est que juste. On en demeure convaincu pour peu qu’on étudie sans passion et sans parti pris le véritable état de la société anglaise et qu’on l’oppose à cette Angleterre fantastique des livres noirs et des pamphlets radicaux. C’est une étude qui mérite d’être entreprise comme une œuvre de justice et comme un enseignement profitable. À voir combien peu les socialistes connaissent ce dont ils prétendent parler, les étranges méprises qu’ils entassent à l’envi on saura mieux quel cas il convient de faire de leurs jugemens sur l’Angleterre, et quelle créance ils méritent quand ils se font les prophètes de nos propres destinées.


I

Il n’est point un seul des élémens de la société anglaise, — bourgeoisie, église, université, magistrature, industrie, — qui ne soit, dans le livre de M. Ledru-Rollin, l’objet des appréciations les plus fausses et les plus erronées. Parmi tant d’assertions marquées au cachet de l’ignorance et de l’étourderie, il en est bon nombre qu’on nous saura gré de ne pas relever ; il en quelques unes aussi qu’il faut discuter. Toutefois, la situation de l’Angleterre et de sa population industrielle nous préoccupera beaucoup plus ici que les déclamations du tribun devenu pamphlétaire ; rétablir cette situation dans sa vérité, l’observer